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Issue
Radioprotection
Volume 52, Number 3, July-September 2017
Page(s) 159 - 165
DOI https://doi.org/10.1051/radiopro/2017010
Published online 28 April 2017

© EDP Sciences 2017

1 Introduction

1.1 Un peu d'histoire…

Si d'aventure vous emportez un compteur Geiger-Müller la prochaine fois que vous prenez l'avion, vous constaterez que, peu après le décollage, le nombre de coups augmente nettement. Ce phénomène se poursuit ensuite régulièrement au fur et à mesure que l'avion s'élève vers son altitude de croisière. Ce phénomène a été mis en évidence par V. Hess qui, muni d'électroscopes, réalisa plusieurs ascensions en ballon entre 1911 à 1913. Il constata que le rayonnement ambiant était quatre fois plus élevé à 1 500 m d'altitude, 16 fois plus à 5 200 m. Hess déduisit de ses observations l'existence de « rayonnements, de très grand pouvoir pénétrant, et entrant par les couches supérieures de l'atmosphère » (Hess, 1912). Des ascensions réalisées de nuit et lors d'une éclipse de soleil (17 avril 1912) lui firent conclure qu'une large partie de ce qu'il appelait le « rayonnement d'altitude » (Hohenstrahlung) ne provenait pas uniquement du soleil mais était d'origine cosmique. Hess reçut le Prix Nobel de physique 1936 pour la découverte du rayonnement cosmique.

Plus tard, des mesures réalisées par Clay pendant un voyage entre la Hollande et Java montrèrent que l'intensité de ce rayonnement cosmique était minimale à hauteur de l'équateur (Clay, 1927, 1928). Des expéditions en divers points du globe conduites par Sir A. Compton permirent de conclure à l'influence de la latitude : plus la latitude est élevée (vers les pôles), plus le rayonnement cosmique mesuré est important (Compton, 1932). En 1938, le Français P. Auger montra que des particules très énergétiques (> 1012 eV) du rayonnement cosmique, en entrant en collision avec les constituants de l'atmosphère, sont à l'origine de gerbes de particules et de rayonnements secondaires (« gerbes Auger ») (Rannou, 1999). Dans les décennies qui suivent, le rayonnement cosmique fait l'objet d'une grande attention de la part des chercheurs. En analysant les gerbes Auger, les physiciens vont pouvoir confirmer l'existence et caractériser des particules comme le neutron, le positron, le neutrino et le méson. À cette époque, la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) n'a pas priorisé le sujet ; tout juste la Publication 9 (CIPR, 1965) mentionne, elle, que « voler à haute altitude » (sans plus de précision) est une pratique qui conduit à « ajouter une dose supplémentaire par rapport au rayonnement naturel » (§ 31).

1.2 Approches dans la gestion de l'exposition au rayonnement cosmique

En 1990, la CIPR recommande de considérer les personnels navigants comme des travailleurs exposés (§ 136, CIPR, 1990). En 1994, la Federal Aviation Administration (FAA) américaine publie une courte circulaire recommandant aux compagnies aériennes américaines de mettre en place un programme de sensibilisation des personnels navigants aux expositions à bord (FAA, 1994). Ce document ne recommande pas de limite de dose.

En Europe, la Directive Euratom 96/29 (Euratom, 1996) est plus contraignante. En plus d'un devoir de sensibilisation, l'employeur est en charge d'évaluer et de suivre l'exposition du personnel navigant dès lors que la dose est susceptible de dépasser 1 mSv an-1. Une évaluation de la dose par calcul en utilisant un modèle validé est jugée suffisante. Les plans de vol des personnels doivent être organisés en vue de réduire les expositions. Une attention particulière doit être portée aux personnels ayant déclaré leur grossesse afin que la dose au fœtus ne dépasse pas 1 mSv.

Malgré ce cadre communautaire, une enquête via le European ALARA Network a montré l'existence de disparités dans la gestion de l'exposition des personnels navigants entre les pays (Andresz, 2015). Si généralement la valeur de 1  mSv an-1 est bien un « niveau d'action » (valeur à partir de laquelle des actions sont mises en place), certains pays utilisent la valeur de 6  mSv an-1. La limite de dose pour les personnels navigants est en général de 20  mSv an-1, parfois 6  mSv an-1. Les réglementations nationales n'obligent pas toujours les compagnies à communiquer leur exposition aux travailleurs ; de fait, les doses ne sont pas systématiquement individualisées. Enfin, la durée de conservation des données accumulées est variable : souvent 30 ans après la fin de l'exposition, au moins 50 ans en France, voire « indéfiniment » au Danemark.

En 2007, la Publication 103 de la CIPR (2007) révise le système de protection radiologique. L'optimisation de la radioprotection est désormais définie comme un processus lié à la source de rayonnement qui vise à maintenir aussi bas que raisonnablement possible, sous la contrainte ou niveau de référence approprié et compte tenu des facteurs économiques et sociétaux, le niveau des doses individuelles, le nombre de personnes exposées et la probabilité d'exposition potentielle. Une conséquence de cette approche est que le processus d'optimisation peut s'appliquer quelle que soit la situation d'exposition − existante, planifiée ou d'urgence – et donc en particulier au cas du rayonnement cosmique.

De plus, concernée par la diversité des pratiques de protection des personnels navigants contre le rayonnement cosmique et les perspectives de croissance du trafic aérien, la CIPR a jugé opportun de mettre en place en 2012 un groupe de travail en vue de préparer une publication dédiée à l'application du système de protection radiologique pour les expositions au rayonnement cosmique dans l'aviation. La CIPR vient de publier son rapport, constituant la Publication 132 de la CIPR (2016).

Cet article fournit, dans un premier temps, des éléments scientifiques sur le rayonnement cosmique. La seconde partie éclairera la démarche de la CIPR et détaillera les recommandations de la Publication 132.

2 Le rayonnement cosmique

2.1 Le rayonnement cosmique primaire

Le rayonnement cosmique dit « primaire » a en fait plusieurs origines.

D'une part, le rayonnement d'origine galactique est formé de particules de très hautes énergies (1010 eV en moyenne, jusqu'à 1020 eV [ICRU, 2010], ce qui correspond à l'énergie d'une balle de tennis bien frappée !). Ce rayonnement est principalement composé de protons (85 %), mais également des particules alpha (12 %), électrons (2 %), atomes divers (1 %), etc. Ils proviendraient (la question n'est pas tranchée) des explosions d'étoiles et des trous noirs de notre galaxie. Une autre composante, encore plus énergétiques, proviendrait d'autres galaxies.

D'autre part, le Soleil génère un rayonnement, principalement composé de protons (à 99 %) avec des énergies pouvant atteindre 108 eV. L'intensité de ce rayonnement varie selon un cycle d'environ 11 ans. Ces variations, et les inhomogénéités de champs magnétiques interstellaires qu'elles induisent, modulent la part du rayonnement galactique reçue par la Terre. Ainsi, plus l'activité du Soleil est élevée, plus le flux de rayonnement galactique reçu par la Terre est faible ; et réciproquement (Amabile et al., 2007). Par ailleurs, le flux et l'énergie du rayonnement solaire peuvent augmenter sensiblement en cas d'éruption solaire (émission épisodique et imprévisible d'énergie par le Soleil).

Arrivant au voisinage de la Terre, les rayonnements galactiques et solaires sont déviés par le champ magnétique terrestre. C'est l'effet de « bouclier géomagnétique ». À l'équateur, seul le rayonnement le plus énergétique peut pénétrer dans l'atmosphère. L'entrée du rayonnement cosmique augmente ensuite avec la latitude λ, grossièrement selon un facteur en cos4(λ) (UNSCEAR, 2008) ; elle est donc maximale aux pôles magnétiques (ceci explique les mesures historiques de Clay et Compton).

2.2 Le rayonnement cosmique secondaire

En pénétrant dans l'atmosphère, le rayonnement cosmique primaire réagit avec les atomes présents, produisant en cascade des particules élémentaires plus ou moins exotiques (neutrons, électrons, mais également muons, mésons, pions, etc.) à diverses énergies. Ce sont ces gerbes de particules qui sont la source de l'exposition au rayonnement cosmique sur Terre.

2.3 Exposition au rayonnement cosmique

Au sol, l'atmosphère fournit une protection efficace, équivalente à 11 m d'eau (c'est l'effet de « bouclier atmosphérique ») et la contribution majoritaire au débit d'équivalent de dose (DeD) ambiant est surtout portée par les muons. L'exposition individuelle au rayonnement cosmique est comprise entre 0,3 et 2   mSv an-1, avec une moyenne mondiale de 0,38  mSv an-1 (UNSCEAR, 2008). Mais aux altitudes de croisière des avions (> 8 000 m), le rayonnement cosmique secondaire est moins filtré et le DeD, principalement porté par les neutrons, est renforcé. Il est généralement compris entre 4 et 8 μSv h-1 à 12 000 m d'altitude. Ce DeD varie surtout en fonction de l'altitude, la latitude et de l'activité solaire. Il existe aujourd'hui plusieurs modèles numériques, intégrés dans des logiciels, permettant d'évaluer la dose reçue lors d'un vol. Certains de ces logiciels sont disponibles sur Internet, par exemple le programme français SIEVERT2 (Bottollier-Depois et al., 2003). Les résultats obtenus avec les modèles sont en accord avec les résultats des mesures réalisées à bord des avions (EC, 2004).

La Figure 1 illustre la variation de l'exposition due au rayonnement cosmique selon l'altitude, la latitude et le temps passé en vol (les valeurs de cette figure sont un exemple et ne doivent pas être généralisées). La durée de vol des personnels navigants est généralement réglementée ; par exemple, en Europe, elle ne peut dépasser 1 000 heures par an (règlement européen 83/2014). Les personnels navigants européens sont donc susceptibles de recevoir quelques mSv par an, pouvant atteindre 7 mSv pour les plus exposés.

Une nouvelle enquête auprès du European ALARA Network, portant sur l'exposition des personnels navigants pour la période 2009–2014, a été réalisée pour cet article. Les résultats sont présentés dans le Tableau 1. On constate, d'une part, que les niveaux d'exposition des personnels navigants (dose moyenne, dose maximale) sont assez différents d'un pays à l'autre. Ces différences sont assez tributaires des destinations desservies par les compagnies aériennes du pays : plus ces destinations sont lointaines et/ou situées aux hautes latitudes, plus l'exposition des personnels navigants nationaux est susceptible d'être élevée (Andresz, 2017). On constate également que les expositions moyennes des personnels évoluent différemment selon les pays. Si l'augmentation de l'activité solaire sur la période peut expliquer en partie les baisses des expositions moyennes (Finlande, France et Allemagne), il n'y a pas d'explication simple aux évolutions à la hausse ou en dents de scie. En tout cas, ces évolutions montrent des disparités dans la gestion de la radioprotection des personnels navigants.

L'UNSCEAR évaluait la dose collective annuelle des personnels navigants à 900 hommes/Sv, reconnaissant que cette valeur était peut-être sous-évaluée ; ces personnels voyageant également souvent par avion pour leurs loisirs. Les vols d'approche ou de mise en place peuvent ne pas être comptabilisés dans les expositions, de même que les vols effectués sur une autre compagnie dans le cadre d'une location d'équipage. Il faut également envisager que certaines compagnies (location de jet d'affaires par exemple) ne suivent pas l'exposition de leurs personnels malgré des expositions potentiellement élevées, ces personnels pouvant voler plus souvent et plus haut en moyenne.

Les études épidémiologiques menées depuis plusieurs décennies sur les populations de personnels navigants ne permettent pas de conclure à une relation entre l'exposition au rayonnement cosmique et un excès de cancer (Zeeb et al., 2012).

Par ailleurs, des passagers peuvent voyager en avion du fait de leur activité professionnelle, parfois autant que des personnels navigants (livreurs ou policiers du ciel par exemple). Toutefois, les données des distances parcourues par les grands voyageurs ne sont pas accessibles et n'ont pu être exploitées. Aucun grand voyageur n'est inscrit dans les registres nationaux de suivi dosimétrique (EC, 2009).

thumbnail Fig. 1

Exemple de variation de la dose due au rayonnement cosmique en fonction de l'altitude, de la latitude et du temps passé en vol. Pour réaliser ce graphique, les débits d'équivalent de dose (DeD) ambiants de deux vols ont été moyennés sur l'année 2015 avec l'outil SIEVERT : un vol circumpolaire (l'exemple pris était Paris–Tokyo) et un vol trans-équatorial (Paris–Rio). Deux profils de vol ont été considérés : celui d'un avion à turbopropulseurs (altitude de croisière de 8 000 m) et celui d'un avion à réaction (13 000 m).

Tableau 1

Exposition au rayonnement cosmique des personnels navigants dans plusieurs pays européens.

3 Application du système de protection radiologique à l'exposition au rayonnement cosmique dans l'aviation. Les recommandations de la CIPR

Partant des éléments scientifiques et des informations rassemblées, la Publication 132 décline le système de protection radiologique de la Publication 103 au cas de l'exposition au rayonnement cosmique dans l'aviation.

Quelle est la source ? C'est-à-dire, au sens de la CIPR, « l'entité qui entraîne une dose de rayonnement ». La source est ici portée par le rayonnement cosmique secondaire ; c'est donc une situation d'exposition existante car elle existait déjà avant qu'il ne soit envisagé de la contrôler.

Est-il justifié d'agir pour empêcher ou limiter des expositions supplémentaires ? Au regard des expositions collectives et individuelles des personnels navigants, de la situation des grands voyageurs ainsi que du nombre croissant de passagers transportés par avion, il semble justifié d'agir. Il s'agit alors de proposer un niveau de référence, c'est-à-dire un niveau de dose au-dessus duquel il est jugé inapproprié de voir l'occurrence d'exposition. Dans un souci de flexibilité, la CIPR n'a pas arrêté de valeur et recommande de sélectionner le niveau de référence entre 5 et 10  mSv an-1. La valeur sélectionnée doit dépendre des circonstances : nombre de personnes exposées, doses individuelles, distribution de doses, etc. L'application du principe d'optimisation doit ensuite permettre de ramener toutes les expositions sous le niveau de référence et de les maintenir aussi bas qu'il est raisonnablement possible. Le niveau de référence choisi peut ensuite servir de repère pour évaluer le processus d'optimisation.

Mais quelles sont les actions concrètes qui peuvent être mises en œuvre pour appliquer le principe d'optimisation ? Clairement, le blindage de l'avion contre le rayonnement cosmique n'est pas une solution réaliste ! La CIPR reconnaît que les actions se limitent en théorie à pouvoir agir sur le temps passé en vol ou par la modification du plan de vol pour jouer sur les effets de boucliers géomagnétiques (limitation des vols à grande latitude) et atmosphérique (limitation de l'altitude). En pratique, la modification du plan de vol entre souvent en contradiction avec l'objectif de minimisation de la consommation de kérosène ou de réduction du temps de vol.

Ces actions s'appliquent également au cas des éruptions solaires. Celles-ci sont toujours considérées par la CIPR comme une situation d'exposition existante (et non comme une situation d'urgence). En effet, même si l'augmentation du DeD peut être importante (une éruption moyenne dite de classe S3 peut conduire localement à un DeD de 0,1 mSv h-1 à 12 000 m), celle-ci est limitée à quelques heures et ne contribuera pas à une augmentation sensible de l'exposition annuelle (Desmaris, 2006). Une éruption séculaire, de classe S5, conduisant à un DeD pouvant atteindre 10 mSv h-1 à 12 000 m requerrait toutefois plus d'attention.

La CIPR fait la distinction entre trois catégories d'individus exposés :

  • les travailleurs, c'est-à-dire une personne encourant une exposition au rayonnement ionisant dans le cadre de son activité professionnelle et dont la situation d'exposition peut être raisonnablement considérée comme de la responsabilité de l'employeur ;

  • les patients (non pertinent ici) ;

  • les membres du public (par définition ni travailleur, ni patient).

Depuis la Publication 60, la CIPR considère que les personnels navigants sont des travailleurs exposés. La population des passagers se décline entre voyageurs occasionnels qui prennent l'avion rarement et les grands voyageurs, qui se déplacent pour des raisons personnelles ou au titre de leur activité professionnelle. Un point délicat était de décider si les grands voyageurs prenant l'avion dans le cadre de leur travail devaient être considérés comme des travailleurs exposés. Dans un souci de simplification, cette recommandation n'a pas été adoptée. Néanmoins, la CIPR retient une approche graduée, c'est-à-dire que les recommandations sont proportionnées au potentiel d'exposition des individus et à leur niveau de choix (pour raisons personnelles versus professionnelles).

3.1 Les personnels navigants

Les recommandations de la Publication 132 reprennent les recommandations précédentes (CIPR, 1990, 1997, 2007) et s'inspirent également de la réglementation européenne (Euratom, 1996, 2013) et des pratiques des compagnies aériennes :

  • les personnels navigants sont considérés comme des travailleurs exposés ;

  • leur employeur doit les informer des caractéristiques de la situation d'exposition (origine, mise en perspective du niveau de dose, etc.) et des possibilités de la réduire. Les personnels concernés sont encouragés à déclarer leur état de grossesse au plus tôt ;

  • la dose annuelle individuelle doit être évaluée. Le port du dosimètre individuel est jugé trop contraignant et difficile à mettre en œuvre. Une évaluation rétrospective par calcul avec un modèle validé est considérée comme le meilleur compromis. La dose doit être communiquée au personnel et conservée pendant une durée suffisante pour permettre la réalisation d'études épidémiologiques. L'exposition au rayonnement cosmique ne nécessite pas de suivi médical supplémentaire à celui déjà mis en place dans le cadre de l'aptitude professionnelle ;

  • en vue de respecter le niveau de référence qu'elle a sélectionné et d'appliquer le principe d'optimisation, la compagnie aérienne met en place des actions de protection pour les personnels navigants concernés (sélection des itinéraires, voire travail au sol) et tout particulièrement pour les personnels ayant déclaré une grossesse.

Ces recommandations peuvent-elles avoir une influence significative sur l'exposition des personnels navigants ?

À titre d'illustration de la mise en œuvre d'un programme de radioprotection, l'approche adoptée par la compagnie Air France est présentée ci-après (Desmaris, 2015) :

  • tous les personnels navigants suivent une sensibilisation ad hoc sur média informatique (1 h, recyclée tous les 3 ans) ;

  • les vols trans-équatoriaux et trans-polaires sont distribués aussi équitablement que possible parmi les équipages ;

  • la médecine du travail a fixé un niveau de référence de 6  mSv an-1, avec un seuil d'alerte à 4 mSv sur huit mois roulants ; un programme informatique permet d'identifier les personnels les plus exposés. Au-delà du seuil d'alerte, la médecine du travail et la personne compétente en radioprotection (PCR) provoquent un entretien et proposent au personnel d'effectuer des vols trans-équatoriaux moins exposants ou de réduire temporairement leur activité aérienne.

Cette approche semble avoir porté ses fruits comme le montre la Figure 2. La distribution de dose a été progressivement ramenée vers des valeurs plus basses et aucun personnel n'a reçu plus de 5  mSv an-1 depuis 2012.

thumbnail Fig. 2

Distribution des doses individuelles des personnels navigants français de 2008 à 2014 (les données proviennent des bilans de l'exposition annuelle des travailleurs, publiés par l'IRSN).

3.2 Les passagers

Les passagers sont a priori à considérer comme des membres du public. Dans un premier temps, la CIPR recommande que la situation d'exposition au rayonnement cosmique soit portée à leur attention. Cette action pourrait être réalisée par les compagnies aériennes, les autorités de sûreté, voire les agences de voyages, les associations de consommateurs, etc. Au travers de cette action, l'utilisation des logiciels permettant d'estimer la dose devrait être encouragée. Il convient de noter que ces recommandations sont déjà mises en place par certaines compagnies aériennes comme Quantas3 ou Cathay Pacific4.

Entre les voyageurs occasionnels et les grands voyageurs, les disparités d'exposition seront importantes et l'approche graduée devient pertinente :

  • pour les passagers occasionnels, l'exposition demeure généralement très faible et il n'y a donc pas lieu de recommander des actions de protection. L'action d'information contribuera à les renseigner sur le phénomène et à prendre la mesure d'une situation d'exposition dont certains n'avaient probablement pas conscience ;

  • pour les grands voyageurs qui l'estiment nécessaire au vu de leur exposition, la CIPR leur propose de choisir un niveau de référence, de suivre l'évolution de leur dosimétrie et, le cas échéant, d'ajuster leur fréquence de vol. Il pourrait être rappelé, entre autres, que la dose au fœtus ne devrait pas dépasser 1 mSv (soit environ 200 h de vol).

L'exposition de la majorité des grands voyageurs ne sera pas comparable à celle des personnels navigants. Toutefois, si cette situation devait se présenter, elle devrait concerner des grands voyageurs qui prennent l'avion pour des raisons professionnelles. Par suite, la CIPR propose de considérer ces individus comme des travailleurs exposés et d'appliquer les recommandations relatives aux personnels navigants. La CIPR précise que cette dernière recommandation ne devrait s'appliquer qu'au cas par cas, en concertation avec l'ensemble des personnels concernés (travailleur, employeur, médecine du travail, syndicat, etc.). À noter (et c'est le cas « extrême ») que si le grand voyageur concerné est déjà un travailleur exposé dans le cadre de son activité professionnelle, le système de protection radiologique recommande de gérer les deux situations d'expositions de manière distinctes (car le principe d'optimisation est lié à la source).

4 Discussion et conclusion

La Publication 132 s'inscrit dans un mouvement initié par la CIPR visant à décliner le système de protection de la Publication 103 à différentes situations d'expositions « quotidiennes ». En renforçant ses recommandations antérieures concernant les personnels navigants, la CIPR espère voir se réduire l'exposition globale de cette population. En proposant de sélectionner un niveau de référence dans une bande 5–10  mSv an-1, l'accent est d'abord mis sur les personnels les plus exposés. Une nouveauté de la Publication 132 est d'introduire des recommandations pour les passagers. Il est recommandé de fournir à l'ensemble des passagers des informations sur la situation d'exposition, en la replaçant dans un contexte global, et de les informer sur les moyens de l'évaluer. Les grands voyageurs qui le jugent nécessaire pourront ajuster leur fréquence de vol pour respecter un niveau de référence personnel.

On peut s'interroger sur l'utilité et la pertinence de la recommandation préconisant d'informer largement le public sur l'exposition au rayonnement cosmique dans les avions. Compte tenu du niveau d'exposition, la CIPR ne fait-elle pas preuve d'une prudence excessive ? La CIPR ne peut faire que les choix allant dans le sens de la prudence : l'objectif n'est pas ici d'exagérer les risques encourus, mais plutôt d'informer objectivement, sans alarmer ni générer de comportement excessif. Communiquer à dessein sur le rayonnement cosmique s'inscrit dans une démarche de transparence et d'ouverture. Les expériences passées semblent montrer que c'est davantage l'absence d'information ou des informations apportées avec trop d'autorité qui peuvent in fine être le plus pernicieux.

La CIPR reconnaît que le public s'attend aujourd'hui à prendre une plus grande part dans les décisions qui touchent à sa santé, sa sécurité et son environnement. Face à la diversité des comportements, des choix et des valeurs de chacun – particulièrement face au rayonnement ionisant – il s'agit de permettre de fournir les éléments et les outils pour pouvoir apprécier objectivement la situation puis prendre ses décisions, de façon informée et éclairée.

Remerciements

Les auteurs remercient les représentants contactés qui ont répondu aux enquêtes portant sur la réglementation et l'exposition des personnels navigants dans leur pays.

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1

Les auteurs de l'article ont participé à l'élaboration de la Publication 132.

Citation de l'article : Andresz S, Desmaris G. 2017. Rayonnement cosmique dans l'aviation − Y a t-il un siège pour la radioprotection ? Radioprotection 52(3): 159–165

Liste des tableaux

Tableau 1

Exposition au rayonnement cosmique des personnels navigants dans plusieurs pays européens.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Exemple de variation de la dose due au rayonnement cosmique en fonction de l'altitude, de la latitude et du temps passé en vol. Pour réaliser ce graphique, les débits d'équivalent de dose (DeD) ambiants de deux vols ont été moyennés sur l'année 2015 avec l'outil SIEVERT : un vol circumpolaire (l'exemple pris était Paris–Tokyo) et un vol trans-équatorial (Paris–Rio). Deux profils de vol ont été considérés : celui d'un avion à turbopropulseurs (altitude de croisière de 8 000 m) et celui d'un avion à réaction (13 000 m).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Distribution des doses individuelles des personnels navigants français de 2008 à 2014 (les données proviennent des bilans de l'exposition annuelle des travailleurs, publiés par l'IRSN).

Dans le texte

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