Issue |
Radioprotection
Volume 57, Number 2, April-June 2022
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Page(s) | 93 - 106 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/radiopro/2022010 | |
Published online | 22 June 2022 |
Article
Maintenir les recommandations de la CIPR adaptées aux besoins
1
International Commission on Radiological Protection, 280 Slater Street, Ottawa, Ontario K1P 5S9, Canada
2
Helmholtz Center Munich German Research Center for Environmental Health, Neuherberg, Allemagne
3
Oxford Brookes University, Faculty of Health and Life Sciences, OX3 0BP Oxford, United Kingdom
4
Public Health England, Centre for Radiation, Chemical and Environmental Hazards, OX11 0RQ Didcot, Oxon, United Kingdom
5
University of Kentucky College of Medicine, 800 Rose Street MN 150, Lexington, KY 40506, USA
6
Electric Power Research Institute, Charlotte, NC, USA
7
Australian Radiation Protection and Nuclear Safety Agency, PO Box 655, Miranda, NSW 1490, Australia
8
Nagasaki University, 1-14 Bunkyomachi, Nagasaki 852-8521, Japan
9
Korea Institute of Nuclear Safety, PO Box 114, Yuseong, Daejeon 305-338, South Korea
10
Nippon Bunri University, 1727 Ichigi, Ōita 870-0397, Japan
11
Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, BP 17, 92262 Fontenay-aux-Roses Cedex, France
12
China Institute of Atomic Energy,
PO Box 275 (1),
Beijing
CN-102413,
PR China
13
Southern Urals Biophysics Institute, Ozyorsk, Chelyabinsk Region, Russia
* Auteur de correspondance : sci.sec@icrp.org
Reçu :
22
Mars
2022
Accepté :
23
Mars
2022
La Commission internationale de protection radiologique (CIPR) a initié un examen et une révision du système de radioprotection afin de mettre à jour les recommandations générales de 2007 dans la Publication 103 de la CIPR. Il s’agit du début d’un processus de plusieurs années qui nécessite une collaboration ouverte et transparente avec les organismes et les personnes du monde entier. Bien que le système soit robuste et efficace, il convient de l’adapter à l’évolution des connaissances scientifiques et de la société afin de demeurer adapté aux besoins. Le présent document vise à encourager les discussions sur les domaines du système qui pourraient bénéficier le plus d’un examen, et à engager des initiatives de collaboration. Le renforcement de la clarté et de la cohérence constitue une priorité. Plus le degré de compréhension du système est élevé, plus il est possible de l’appliquer efficacement, ce qui se traduit par une amélioration de la protection et une harmonisation accrue. De nombreux domaines pourraient faire l’objet d’un examen, notamment : la classification des effets, avec un accent particulier sur les réactions tissulaires ; la reformulation du détriment radiologique, qui pourrait inclure les maladies non cancéreuses ; la réévaluation de la relation entre le détriment et la dose efficace, et la possibilité de définir des détriments pour les hommes et les femmes et différentes classes d’âge ; la variation de la réponse individuelle à l’exposition aux rayonnements ; les effets héréditaires ; les effets et risques pour le biote non humain et les écosystèmes. Certains des concepts de base sont également examinés, notamment le cadre permettant de réunir la protection des personnes et de l’environnement, les améliorations progressives des principes fondamentaux de justification et d’optimisation, une approche plus large de la protection des personnes et la clarification des situations d’exposition introduites en 2007. En outre, la CIPR envisage de déterminer dans quels cas l’incorporation explicite des fondements éthiques dans le système présenterait un avantage, comment mieux refléter l’importance des échanges et de l’implication des parties prenantes, et de donner des conseils supplémentaires sur l’éducation et la formation. La CIPR invite à répondre à ces questions et à d’autres liées à l’examen du système de radioprotection.
Abstract
The International Commission on Radiological Protection (ICRP) has embarked on a review and revision of the system of Radiological Protection that will update the 2007 general recommendations in ICRP Publication 103. This is the beginning of a process that will take several years, involving open and transparent engagement with organisations and individuals around the world. While the system is robust and has performed well, it must adapt to address changes in science and society to remain fit for purpose. The aim of this paper is to encourage discussions on which areas of the system might gain the greatest benefit from review, and to initiate collaborative efforts. Increased clarity and consistency are high priorities. The better the system is understood, the more effectively it can be applied, resulting in improved protection and increased harmonisation. Many areas are identified for potential review including: classification of effects, with particular focus on tissue reactions; reformulation of detriment, potentially including non-cancer diseases; re-evaluation of the relationship between detriment and effective dose, and the possibility of defining detriments for males and females of different ages; individual variation in the response to radiation exposure; heritable effects; and effects and risks in nonhuman biota and ecosystems. Some of the basic concepts are also being considered, including the framework for bringing together protection of people and the environment, incremental improvements to the fundamental principles of justification and optimisation, a broader approach to protection of individuals, and clarification of the exposure situations introduced in 2007. In addition, ICRP is considering identifying where explicit incorporation of the ethical basis of the system would be beneficial, how to better reflect the importance of communications and stakeholder involvement, and further advice on education and training. ICRP invites responses on these and other areas relating to the review of the System of Radiological Protection.
Mots clés : radioprotection / recommandations / révision / CIPR
Key words: radiological / protection / recommendations / review / ICRP
© The Authors, published by EDP Sciences 2022
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Avertissement Cet article est la traduction française de l’article : C Clement et al. 2021 Keeping the ICRP Recommendations Fit for Purpose. J. Radiol. Prot. 41 1390–1409 https://doi.org/10.1088/1361-6498/ac1611, initialement publié en anglais dans la revue « Journal of Radiological Protection ». Cet article est publié avec la permission de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), et dans le respect des droits liés à cette publication, conformément aux demandes de l’éditeur IOP Publishing. L’IRSN est à l’initiative de cette publication en libre accès, et a assuré et validé la traduction en français de l’article original, en collaboration avec le Centre d’étude et d’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN).
1 Contexte et intention
La Commission internationale de protection radiologique (CIPR) est un organisme indépendant, non gouvernemental, reconnu comme organisme de bienfaisance par la Charity Commission for England and Wales. Depuis près d’un siècle, elle joue un rôle d’interface entre les dimensions scientifique et politique de la protection radiologique. Grâce à l’expertise et au travail largement bénévole de ses membres du monde entier, les recommandations de la CIPR sur la protection contre les effets nocifs des rayonnements ionisants sur la santé humaine et l’environnement constituent le fondement des normes, des règlements, de la législation et des pratiques en matière de radioprotection dans le monde entier.
De temps en temps, la CIPR publie des recommandations générales qui définissent l’ensemble du système de radioprotection (le « système »). Les premières recommandations générales ont été élaborées en 1928 (ICR, 1929). Des mises à jour ultérieures ont été produites, avant la pratique actuelle de numérotation des publications, en 1931 (ICR, 1931), 1934 (IXRPC, 1934), 1937 (IXRPC, 1938), 1950 (ICRP, 1951), 1954 (ICRP, 1955), et 1956 (ICRP, 1958), puis dans les Publications 1 (ICRP, 1959), 6 (ICRP, 1964), 9 (ICRP, 1966), 26 (ICRP, 1977), 60 (ICRP, 1991) et 103 (ICRP, 2007) de la CIPR.
Le processus de révision de la Publication 60 de la CIPR (ICRP, 1991) a débuté il y a plus de vingt ans et a duré une dizaine d’années avant d’aboutir à la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007). Compte tenu de ce délai et des plus de dix ans d’expérience avec les recommandations générales de la Publication 103, la CIPR lance un examen du système actuel en consultation avec les parties prenantes afin d’évaluer les domaines susceptibles de nécessiter une plus grande attention à la lumière des leçons de la dernière décennie ainsi que des progrès des connaissances scientifiques, de l’évolution des valeurs sociétales et des progrès dans la mise en œuvre pratique de la radioprotection.
Bien que l’on puisse conclure avec certitude que le système est robuste et s’est avéré efficace par rapport aux objectifs de protection, il convient de l’ajuster à l’évolution des connaissances scientifiques et de la société afin de demeurer adapté aux besoins.
Cet article présente les premières réflexions de la commission principale et du secrétaire scientifique de la CIPR (les auteurs) sur les éléments fondamentaux du système, afin d’identifier les questions susceptibles de nécessiter une attention particulière. Les points de vue exprimés ne constituent pas des prises de position entérinées par la CIPR, mais ont été éclairés par l’expérience des membres de la CIPR dans les différents comités, et par des discussions initiales avec des experts du monde entier, y compris des représentants des 30 organismes qui entretiennent des relations officielles avec la CIPR. La Publication 103 de la CIPR, les recommandations générales de 2007, constitue le point de départ. Il convient de noter que certaines modifications probables du système ou de ses composantes ont déjà été préfigurées dans des publications de la CIPR parues depuis la Publication 103 (ICRP, 2007).
Cet article constitue le début d’un processus de plusieurs années qui nécessite une collaboration ouverte et transparente avec les organismes et les personnes du monde entier. Dans le cadre de ce processus, nous cherchons à obtenir l’avis de toutes les parties prenantes concernant le fonctionnement du système, les domaines dans lesquels il est nécessaire d’apporter des clarifications et de procéder à des ajustements. Nous cherchons également à recueillir des suggestions en vue de relever ces défis. Par conséquent, les objectifs du présent article sont les suivants :
encourager les discussions au sein de la communauté de la radioprotection et au-delà concernant les domaines du système susceptibles de bénéficier le plus d’un examen détaillé et d’un perfectionnement ;
lancer et mettre en place des projets de collaboration afin d’examiner les domaines prioritaires et de procéder à des améliorations ;
aider à définir le programme de travail de la CIPR pour les années à venir.
L’approche prévue consiste à examiner le système afin de déterminer les éléments qui peuvent nécessiter une attention particulière, puis à traiter chacun de ces éléments en profondeur par le biais d’une participation étendue des parties prenantes. Une fois ce processus terminé, il sera possible de considérer le système dans son ensemble et de formuler une révision des recommandations générales qui remplacera la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007). En parallèle, la CIPR publiera une analyse des besoins en matière de recherche, en tenant compte des exigences à court terme avant la révision des recommandations générales, ainsi que des objectifs à plus long terme.
La révision des recommandations générales est l’occasion de produire un document de référence unique et cohérent sur le plan interne qui intègre les mises à jour progressives depuis la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) et d’autres considérations à prendre en compte, comme celles décrites dans le présent article.
Les parties prenantes ont également demandé que la description du système soit formulée dans un langage clair. Le renforcement de la cohérence et de la clarté constitue une priorité. Plus le degré de compréhension du système est élevé, plus il est possible de l’appliquer efficacement, ce qui se traduit par une amélioration de la radioprotection et une harmonisation accrue au niveau mondial. Il est possible d’obtenir une certaine clarté par le biais d’un effort de simplification, tout en évitant d’aller trop loin dans ce sens, car le système doit permettre de gérer des situations considérablement différentes, complexes et imprévues. Le système doit être aussi simple que possible, mais aussi complexe que nécessaire afin de faire face à un large éventail de situations, d’applications et de scénarios.
2 Objectifs et principes du système
2.1 Objectifs
L’objectif du système, tel qu’énoncé dans la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007), est de « contribuer à un niveau approprié de protection des personnes et de l’environnement contre les effets adverses de l’irradiation sans limiter indûment les actions humaines souhaitables pouvant être associées à cette exposition ». Afin d’accomplir cette mission première, la CIPR a défini deux objectifs de protection primordiaux : l’un relatif à la protection des personnes, l’autre à la protection de l’environnement.
2.2 Protection des personnes
Les objectifs de protection de la santé humaine sont « de gérer et de maîtriser les expositions aux rayonnements ionisants de manière à prévenir les réactions tissulaires et à réduire les risques d’effets stochastiques dans la mesure où cela est raisonnablement possible » (ICRP, 2007). La distinction entre les effets stochastiques et les réactions tissulaires (précédemment appelés « effets déterministes ») doit être examinée, en s’appuyant sur les progrès scientifiques réalisés dans la compréhension des effets des rayonnements sur la santé depuis la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) (par exemple, ICRP, 2012; Sect. 6.1).
L’objectif de prévenir les réactions tissulaires demeure valable, mais il existe des circonstances spécifiques dans lesquelles celles-ci peuvent être tolérées pour obtenir le bénéfice souhaitable d’une activité particulière. Dans certains cas médicaux, les réactions tissulaires sont un effet secondaire indésirable, mais tolérable, comme dans les traitements susceptibles de sauver la vie d’un patient et nécessitant des doses élevées de rayonnement ionisant. Des jugements similaires s’appliquent à certains aspects de l’exposition professionnelle, notamment en cas d’urgence. Autre exemple : il pourrait être impossible d’explorer l’espace au-delà de la lune sans subir certaines réactions tissulaires. Dans de tels cas, il peut être préférable de prendre des mesures telles qu’un suivi médical renforcé plutôt que d’éviter toute réaction tissulaire.
L’impact des effets stochastiques est reflété par le détriment radiologique qui repose sur la somme des risques de plusieurs cancers sur la vie entière, pondérée par la gravité de ces cancers, et intègre la possibilité d’effets héréditaires. Ce concept de détriment radiologique a été élaboré dans la Publication 60 de la CIPR (ICRP, 1991). Il doit être révisé et mis à jour afin de refléter l’évolution des connaissances scientifiques sur les risques et l’avis des experts concernant la létalité, la qualité de vie et les années de vie perdues. En outre, la reconnaissance explicite des différences en matière de détriment en fonction de l’âge au moment de l’exposition et entre les hommes et les femmes pourrait améliorer la clarté de l’application du système, en montrant notamment que les risques pour les jeunes enfants sont supérieurs à ceux pour les adultes, et que les risques pour les personnes âgées sont faibles.
La protection est assurée en utilisant les grandeurs dosimétriques bien établies : dose absorbée et dose équivalente pour les organes et les tissus dans la prévention des réactions tissulaires ; dose efficace dans l’optimisation de la protection contre les effets stochastiques à faibles doses et faibles débits de dose. L’utilisation de ces grandeurs a été présentée dans la Publication 147 de la CIPR (ICRP, 2021a) où les faibles doses correspondent à un rayonnement à faible transfert linéique d’énergie (TLE) < 100 mGy sur les organes et les tissus, et les faibles débits de dose correspondent à un rayonnement < 5 mGy.h−1.
Le système traite principalement des effets sur la santé résultant directement de l’exposition aux rayonnements, tels que le cancer et les réactions tissulaires. Il convient également d’examiner comment traduire dans les objectifs de santé humaine la définition de la santé fournie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir « un état de complet bien-être physique, mental et social, et non pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité » (WHO, 1946).
2.3 Protection de l’environnement et du biote non humain
La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) indique que l’objectif de la protection est « …« de prévenir ou de réduire la fréquence des effets délétères du rayonnement à un niveau tel qu’ils n’auraient qu’un impact négligeable sur la préservation de la diversité biologique, la conservation des espèces, ou la santé et l’état des habitats naturels, des communautés et des écosystèmes… ». Cependant, au moment où la Publication 103 de la CIPR a été élaborée, les travaux de la CIPR sur la protection de l’environnement n’en étaient qu’à leurs débuts. Par conséquent, la Publication 103 de la CIPR ne comporte que cet objectif et quelques éléments à prendre en compte pour la protection de l’environnement.
Depuis lors, de nombreux travaux ont été réalisés et sont prêts à être intégrés dans de nouvelles recommandations générales. La CIPR a abordé la protection de l’environnement d’une manière similaire à la protection des personnes, à savoir en établissant les caractéristiques de l’objet de la protection (en créant des bases de données pour 12 animaux et plantes de référence (Reference Animals and Plants, RAP) de portée générale et définies au niveau de la famille), les scénarios d’exposition, les relations dose-effet, ainsi qu’en définissant des niveaux de référence dérivés « bien pesés » (Derived Consideration Reference Levels, DCRL) indiquant les intervalles de débit de dose absorbée pour lesquels certains effets préjudiciables pourraient être anticipés pour un RAP particulier (ICRP, 2008, 2009d, 2014a).
Pour élaborer l’approche de la radioprotection de l’environnement, la CIPR s’est largement inspirée, comme point de départ, des approches existantes de la conservation des espèces, en mettant l’accent sur les organismes dans l’environnement naturel. Toutefois, cette méthode peut s’avérer insuffisante lorsqu’il s’agit d’écosystèmes créés et gérés par des personnes dans le but de fournir des biens, des services et de l’intérêt culturel aux populations humaines. Ces aspects couvrent les espèces domestiquées et les patients vétérinaires, qui font l’objet du groupe de travail 110 de la CIPR sur la radioprotection dans la pratique vétérinaire. Les travaux déjà entrepris par la CIPR demeurent un élément fondamental. Toutefois, il est possible d’envisager d’inclure dans les futures recommandations générales des considérations plus globales concernant la protection de l’environnement dans le cadre du « développement durable » et des préoccupations relatives à la « qualité de vie », notamment les services fournis par l’environnement et les écosystèmes ainsi que les impacts de la mise en œuvre des mesures de protection.
2.4 Principe fondamental de justification
L’évaluation récente des valeurs éthiques inhérentes au système (ICRP, 2018) a été utile au réexamen des trois principes fondamentaux de la radioprotection. Il conviendrait en particulier de clarifier davantage la justification de manière à souligner que le bénéfice net tient compte de l’impératif d’agir en vue de faire le bien tout en évitant de nuire.
La série de publications récentes relatives aux situations d’exposition existantes, notamment les Publications 126 (ICRP, 2014b), 142 (ICRP, 2019) et 146 (ICRP, 2020b), a mis en évidence la nécessité de prendre en compte la qualité de vie dans la justification de nombreuses décisions. En médecine, les défis liés à la justification découlent de la complexité croissante des soins de santé et de l’utilisation accrue de l’imagerie, avec des attentes, une participation et des exigences plus larges de la part des parties prenantes. L’utilisation accrue de l’intelligence artificielle en médecine a transformé et atténué les frontières entre la recherche et la pratique clinique. Par exemple, la relation entre les lignes directrices en matière d’orientation clinique et l’aide à la décision par des systèmes électroniques mériterait une clarification.
L’application du principe de justification à la recherche biomédicale utilisant des rayonnements au-delà de l’usage clinique doit également être envisagée.
2.5 Principe fondamental d’optimisation
Le principe d’optimisation de la protection et de la sûreté stipule que « la probabilité de subir des expositions, le nombre de personnes exposées et l’ampleur de leurs doses individuelles doivent être maintenus au niveau le plus bas qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre, compte tenu des facteurs économiques et sociétaux » (ICRP, 2007).
De nombreuses demandes ont été formulées en vue d’obtenir davantage d’orientations sur la manière d’équilibrer les facteurs sociétaux, économiques et autres dans l’optimisation de la protection et de la sûreté, ce qui nécessite la contribution de nombreux domaines d’expertise. L’examen le plus récent de l’optimisation générale était l’objet de la Pub 101b, et la CIPR est consciente des différents efforts pouvant aider à plus de transparence dans l’équilibre de ces différents facteurs. La Publication 146 de la CIPR (ICRP, 2020b) définit l’environnement comme l’un des facteurs à prendre en compte. Des conseils pour l’optimisation de la radioprotection environnementale sont également fournis dans la Publication 124 de la CIPR (ICRP, 2014a). Bien que la CIPR ne puisse pas se prononcer sur des circonstances particulières, il peut s’avérer utile de donner des conseils supplémentaires sur les facteurs à prendre en compte et les processus possibles à mettre en œuvre.
Le groupe de travail 114 de la CIPR sur le caractère raisonnable et la tolérabilité dans le système de radioprotection se penche déjà sur des éléments essentiels de l’optimisation. Trop souvent axée sur l’acronyme « ALARA » (As Low As Reasonably Achievable, aussi bas qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre, en tenant compte des aspects sociaux et économiques), l’optimisation de la protection et de la sûreté ne doit pas toujours viser à obtenir les expositions ou les risques les plus faibles possible, mais à trouver un équilibre entre plusieurs facteurs, dont la dose, le risque et d’autres aspects à prendre en compte. Le groupe de travail 114 de la CIPR vise à clarifier la manière d’intégrer le bien-être général, et d’autres considérations sociétales, environnementales et économiques.
Dans le domaine médical, l’optimisation de la protection consiste à faire en sorte que l’exposition reste proportionnelle à la finalité médicale, ce qui implique de limiter l’exposition du patient au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif médical requis. Compte tenu de l’augmentation de l’exposition de la population due à l’imagerie médicale et de la complexité croissante des soins de santé, le groupe de travail 108 de la CIPR sur l’optimisation de la radioprotection en radiographie numérique, fluoroscopie et tomodensitométrie en imagerie médicale élabore des directives sur la nécessité de l’intégration, du travail en équipe, de l’apprentissage par les pairs et du recours aux sciences de la décision.
Plusieurs grandes questions se posent, notamment la façon d’aborder l’optimisation de manière holistique en tenant compte de la dualité de ce principe qui concerne aussi bien la protection que la sûreté, ainsi que de la prise en compte implicite du risque en fonction du niveau d’exposition et de la probabilité qu’un événement provoque une exposition (exposition potentielle). La révision du système permettrait d’explorer davantage l’applicabilité et l’utilisation du principe d’optimisation, lorsque est considérée la sûreté des sources, des installations et des pratiques, en fondant cette analyse sur le risque et en soulignant le rôle des évaluations de risque (sûreté).
Une approche holistique permettrait également de considérer des facteurs autres que radiologiques, notamment les moyens de promouvoir une prudence raisonnable, sans conservatisme exagéré, dans le système et sa mise en œuvre. Des directives supplémentaires peuvent s’avérer nécessaires pour la prise de décision lorsque les doses sont très faibles (par exemple, bien en deçà des variations normales du rayonnement naturel), et que les risques prédits pour les personnes et l’environnement sont très faibles. De même, des directives supplémentaires peuvent s’avérer nécessaires pour la prise de décision lorsque la probabilité qu’un événement provoque une exposition (potentielle) est faible, et que le risque qui en résulte est faible bien que l’exposition due à cet événement puisse être significative.
Les événements de sécurité conduisant à une exposition aux rayonnements, provoqués par un manque de connaissance, des erreurs, des négligences ou des actes de malveillance, ont fait l’objet d’une attention accrue ces dernières années. La probabilité de tels événements est difficile à évaluer, et les niveaux de menace et les scénarios associés peuvent varier dans le temps ou être essentiellement imprévisibles et non quantifiables en termes d’estimation de la probabilité. Cependant, l’optimisation au niveau de la conception joue un rôle dans la gestion et la réduction de la probabilité de tels événements, ainsi que des conséquences radiologiques en cas de survenue de l’événement. Ces aspects peuvent être considérés isolément ou de manière agrégée pour fournir des informations sur l’ampleur approximative du risque.
2.6 Principe fondamental d’application des limites de dose
La notion de limite de dose individuelle est essentielle dans le système, car la justification et l’optimisation de la protection sont, de manière générale, des principes qui recherchent les meilleures solutions pour la société, mais qui peuvent ne pas tenir correctement compte du devoir de protection des individus.
Dans le système tel qu’il existe aujourd’hui, ce principe ne s’applique qu’aux expositions professionnelles et du public dans des situations d’exposition planifiées, car son application stricte dans d’autres domaines pourrait ne pas donner les meilleurs résultats pour la société ou pour des individus spécifiques. Cependant, il existe une obligation éthique de protéger chaque individu en toutes circonstances.
Pour ce faire, des niveaux de référence sont utilisés dans les situations d’exposition d’urgence et existantes, visant à limiter les iniquités entre les expositions individuelles qui peuvent résulter de la mise en œuvre des mesures de protection, tout en offrant la souplesse nécessaire que les limites ne permettraient pas dans ces circonstances.
L’obligation de protection des individus pourrait se traduire par un principe plus large, généralisé à toutes les situations, et intégrant les concepts de limites, de contraintes et de niveaux de référence. Il est également possible de simplifier davantage en combinant ces deux derniers concepts, avec ainsi les niveaux de référence s’appliquant dans toutes les situations d’exposition et les limites de dose ne s’appliquant que dans les situations d’exposition planifiées. Il convient également de noter que les critères de dose de la CIPR pour la protection de l’environnement, les DCRL, constituent effectivement des niveaux de référence et doivent être appliqués en tant que tels, comme le souligne la Publication 124 de la CIPR (ICRP, 2014a).
La définition d’un principe fondamental de protection des individus devrait conduire à un système dans lequel les trois principes fondamentaux s’appliquent en toutes circonstances, quelle que soit la situation ou la catégorie d’exposition. Une telle modification nécessiterait de réexaminer et de clarifier les distinctions entre limites, contraintes et niveaux de référence. Il est nécessaire de revoir les modes d’application des critères de dose dans différentes circonstances, sur une base annuelle, cumulative sur 5 ans, sur la vie entière, etc. Il pourrait également être utile de fournir des conseils supplémentaires sur la sélection des valeurs pour ces critères, y compris sur la question de savoir si la définition actuelle des intervalles pour les contraintes et les niveaux de référence doit être maintenue ; cette question est actuellement examinée par le groupe de travail 114 de la CIPR sur le caractère raisonnable et la tolérabilité dans le système de radioprotection et par le groupe de travail 99 de la CIPR sur les monographies des RAP.
Les critères de risques sont utilisés dans certaines circonstances d’exposition potentielle, comme le stockage des déchets. La Publication 103 (ICRP, 2007) décrit l’exposition potentielle comme un mécanisme permettant de comprendre et d’inclure la possibilité d’expositions. Ces considérations sont souvent associées à la sûreté nucléaire, mais les concepts sous-jacents peuvent être appliqués de manière plus large.
Des critères de risques ont également été utilisés dans le cas d’expositions planifiées, du moins dans le domaine hautement spécialisé de la radioprotection des vols spatiaux habités, actuellement examiné par le groupe de travail 115 de la CIPR sur l’évaluation des risques et des doses pour la radioprotection des astronautes. Ces approches méritent un examen plus approfondi afin de déterminer si le champ d’application des critères de risques peut dépasser le cadre des circonstances d’exposition potentielle.
2.7 Catégories d’exposition et situations d’exposition
Alors que les catégories d’exposition (médicale, professionnelle et du public) permettent depuis longtemps d’organiser la radioprotection, les situations d’exposition (planifiée, existante et d’urgence) ont été introduites dans les recommandations générales de 2007 (ICRP, 2007). Après plus de dix ans de pratique des situations d’exposition, il s’avère nécessaire de revoir leurs définitions pour en améliorer la clarté et d’examiner la meilleure façon de les appliquer.
Les catégories d’exposition sont généralement comprises, bien que des lignes directrices plus claires puissent s’avérer nécessaires dans des circonstances inhabituelles telles que des situations d’urgence. La Publication 146 de la CIPR (ICRP, 2020b) fournit des lignes directrices à ce sujet. En outre, l’intégration de la protection du biote non humain dans le système peut nécessiter l’ajout d’au moins une catégorie d’exposition, les trois catégories actuelles ayant été spécialement conçues pour les humains, comme indiqué dans la Publication 124 de la CIPR (ICRP, 2014a). Par exemple, le National Council on Radiation Protection and Measurements (NCRP) aux États-Unis a mis en place de nouvelles catégories pour les intervenants d’urgence et le biote non humain (NCRP, 2018a).
Il existe des zones grises entre les trois situations d’exposition. Ce constat est particulièrement pertinent pour les situations d’exposition existantes, où la source peut être préexistante, mais les expositions dans une circonstance particulière peuvent être nouvelles. Il convient de clarifier davantage l’interprétation et l’utilisation des situations d’exposition, ainsi que les transitions entre elles. Il convient également de considérer comment les expositions potentielles ou la sûreté s’inscrivent dans ce schéma.
Malgré le développement d’un système cohérent avec trois situations d’exposition, des difficultés subsistent pour traiter efficacement les sources naturellement présentes dans l’environnement par rapport à celles qui résultent de l’activité humaine. Pour de nombreuses sources naturelles, l’exposition est modifiée d’une manière ou d’une autre par l’activité humaine, comme l’augmentation du rayonnement cosmique pendant les voyages aériens ou spatiaux, l’augmentation des concentrations de radon en raison de la construction de bâtiments économes en énergie, ou la concentration de matériaux radioactifs par des procédés industriels. Des exemples ont été traités dans plusieurs publications de la CIPR, notamment la protection dans les situations post-accidentelles dans les Publications 111 et 146 de la CIPR (ICRP, 2009b, 2020b), l’exposition au radon dans la Publication 126 de la CIPR (ICRP, 2014b), l’aviation dans la Publication 132 de la CIPR (ICRP, 2016) et les industries utilisant des matériaux naturellement radioactifs dans la Publication 142 de la CIPR (ICRP, 2019). Ces publications tendent vers une approche plus unifiée qui facilite la cohérence entre toutes les situations d’exposition, mais les principes mis au point grâce à ces exemples doivent encore être consolidés et clarifiés. Par exemple, une question est l’utilisation des limites de dose, qui sont actuellement applicables uniquement dans les situations d’exposition planifiées.
3 Considérations plus générales
3.1 Aspects éthiques de la radioprotection
La Publication 138 de la CIPR (ICRP, 2018) était le premier examen complet des fondements éthiques du système par la CIPR. Elle clarifie les concepts qui sous-tendent les jugements de valeurs nécessaires pour élaborer et faire progresser le système. Elle définit aussi un cadre et un vocabulaire commun pour soutenir la communication et les discussions sur les questions des valeurs éthiques sous-jacentes au système.
D’autres travaux connexes se fondent déjà sur ce socle, comme le groupe de travail 109 de la CIPR sur l’éthique de la radioprotection pour les diagnostics et les traitements médicaux, ainsi que le groupe de travail 114 de la CIPR sur le caractère raisonnable et la tolérabilité dans le système de radioprotection. Par exemple, le groupe de travail 109 de la CIPR pourrait regrouper les valeurs éthiques élaborées dans la Publication 138 de la CIPR (ICRP, 2018) et celles établies dans le cadre de la pratique médicale afin de définir un ensemble plus large de valeurs pour les scénarios rencontrés dans la pratique quotidienne et d’informer les études de cas pour l’éducation et la formation des professionnels de la santé. La CIPR accueille favorablement toute initiative supplémentaire visant à fournir des conseils pratiques pour la mise en œuvre du système dans diverses circonstances.
L’examen du système devrait permettre de déterminer les domaines dans lesquels il serait bénéfique de prendre en compte explicitement les fondements éthiques en sus des fondements scientifiques.
Des défis apparaissent tant dans la communication et la compréhension des risques radiologiques que dans l’application du système. Il est bien connu que la perception du risque dépend de son degré de compréhension et de familiarité, si les activités sont perçues comme bénéfiques, et si les risques sont pris volontairement ou imposés. Bien qu’identiques sur le plan physique, la perception et les points de vue éthiques demeurent différents. Par exemple, certaines parties prenantes ont proposé que les expositions « normales » au rayonnement naturel puissent fournir un cadre utile à la communication sur les risques liés aux radiations, tandis que d’autres ont mis en garde contre de telles approches.
3.2 Communication et implication des parties prenantes
La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) reconnaît que la communication et l’implication des parties prenantes sont importantes pour la mise en œuvre du système. La communication et l’implication constituent des mécanismes permettant d’accéder aux connaissances et à l’expertise des parties prenantes et de les partager afin d’obtenir le meilleur résultat possible et durable pour tous, compte tenu des circonstances et des différents points de vue. Plus précisément, la CIPR considère que « l’implication des parties prenantes est un moyen éprouvé d’assurer l’intégration des valeurs dans le processus de prise de décision, l’amélioration de la qualité substantielle des décisions, la résolution des conflits entre les intérêts concurrents, la construction d’une compréhension partagée… et l’instauration de la confiance dans les institutions » (ICRP, 2006).
La CIPR a récemment clarifié les fondements éthiques du système dans sa Publication 138 (ICRP, 2018). Les valeurs procédurales d’inclusion, de redevabilité et de transparence sont directement liées à l’implication des parties prenantes pouvant soutenir et élargir les processus décisionnels, par exemple en mettant en évidence des aspects autres que les effets directs de l’exposition aux rayonnements.
Dans la Publication 146 de la CIPR (ICRP, 2020b), la Commission a également introduit le processus de « co-expertise » comme faisant partie intégrante de la mise en œuvre pratique du principe d’optimisation de la protection fondé sur l’implication et la montée en puissance des parties prenantes. Ce processus de coopération entre experts, professionnels et parties prenantes vise à partager les connaissances des parties prenantes et l’expertise scientifique pour évaluer et mieux comprendre la situation radiologique, élaborer des mesures de protection des personnes et de l’environnement et améliorer les conditions de vie et de travail.
La co-expertise favorise également le développement d’une culture de la radioprotection, dans laquelle les connaissances et les aptitudes sont développées de manière à prendre des décisions éclairées et à se comporter avec discernement dans des situations mettant en jeu des expositions potentielles ou réelles aux rayonnements ionisants. Elle permet aux personnes d’interpréter les mesures de rayonnement, de construire leurs propres repères par rapport à la radioactivité présente dans leur vie quotidienne, de prendre leurs propres décisions pour se protéger et protéger leurs proches et d’évaluer la pertinence et l’efficacité des mesures de protection mises en œuvre par les autorités, par les organismes ou par elles-mêmes.
La clarification du cadre éthique et le processus de co-expertise devraient permettre à la CIPR de formuler des conseils plus spécifiques concernant l’implication de toutes les parties prenantes et la communication, en particulier en ce qui concerne l’application de l’optimisation pour les installations et les activités controversées, l’utilisation des rayonnements dans les applications médicales, la gestion des accidents et les mesures de remédiation.
3.3 Éducation et formation
Il est important de reconnaître que ce qui préserve la santé des personnes, des animaux et de l’environnement, c’est la pratique en matière de radioprotection. L’utilisation inappropriée des technologies utilisant des rayonnements peut accroître les risques et causer des dommages aux patients, aux travailleurs ou aux personnes du public. L’éducation et la formation en radioprotection devraient constituer une partie essentielle des études de premier cycle et autres dans les domaines concernés.
La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) mentionne l’éducation des personnes du public, ainsi que l’éducation et la formation des travailleurs pour assurer la radioprotection et la sûreté. Plus tard, la CIPR a élaboré des recommandations sur l’éducation et la formation spécifiques au domaine médical dans la Publication 113 de la CIPR (ICRP, 2009c). Il pourrait être utile de poursuivre ce travail dans le domaine de l’éducation et de la formation.
Les programmes modernes d’éducation et de formation en radioprotection devraient être accrédités et inclure des évaluations mesurables des connaissances, des aptitudes et des compétences des travailleurs tout au long de leur carrière. Ces mesures peuvent porter sur l’éducation et la formation des professionnels qui jouent le rôle de relais d’éducation/d’information, tels que les enseignants.
Les disciplines concernées devraient être rendues attrayantes aux yeux des étudiants intéressés par les sciences naturelles. La mise en place de programmes de recherche à long terme sur des sujets liés à la radioprotection peut faciliter la réalisation de projets de doctorat attrayants.
L’éducation et la formation à la communication multimédia, aux compétences culturelles et à la culture de sûreté améliorent la radioprotection et la sûreté. Cette approche permet de renforcer la compréhension et la confiance mutuelles, ainsi que d’aider le public intéressé à comprendre les bases sur les rayonnements ainsi que sur leurs effets sur la santé.
4 Dose
4.1 Grandeurs dosimétriques
De nouvelles recommandations générales fourniront l’opportunité de simplifier l’utilisation des grandeurs dosimétriques pour la protection contre les réactions tissulaires et les effets stochastiques. Dans la Publication 147 de la CIPR (ICRP, 2021a), la CIPR expose des propositions d’utilisation de la dose absorbée (en gray, Gy) pour la maîtrise des doses aux organes et tissus spécifiques afin d’éviter ou de minimiser les réactions tissulaires. Cette modification aurait pour conséquence que la dose équivalente (en sievert, Sv) ne serait plus utilisée pour établir des limites en relation avec les réactions tissulaires, mais resterait une étape intermédiaire dans le calcul de la dose efficace. La pondération selon les rayonnements pourrait alors être considérée séparément pour les réactions tissulaires et les effets stochastiques pour, respectivement, le calcul, de la dose absorbée en Gy et celui de la dose efficace en Sv. Les modifications prévues permettront d’appliquer les connaissances scientifiques de manière plus appropriée et de simplifier la radioprotection, en distinguant plus clairement les doses aux organes/tissus en dose absorbée en Gy de la dose efficace en Sv. Le NCRP (2018a) est parvenu à des conclusions similaires.
La Commission internationale des unités et mesures de rayonnement (International Commission on Radiation Units and Measurements, ICRU) propose en parallèle des modifications des grandeurs opérationnelles concernant les expositions professionnelles à des sources externes. Comme discuté dans un rapport récent publié conjointement avec la CIPR (ICRU, 2020), l’intention est que les grandeurs mesurées pour l’estimation de la dose efficace soient directement liées à la dose efficace dans les fantômes de référence, renommées « grandeurs dosimétriques » (dose ambiante et individuelle) plutôt que « grandeurs de dose équivalente». Les grandeurs opérationnelles pour la mesure des doses à la peau et au cristallin deviendront des « grandeurs de dose absorbée ». Les modifications des grandeurs opérationnelles seraient introduites en même temps que celles des grandeurs de protection, après la publication des nouvelles recommandations générales de la CIPR.
4.2 Dose efficace, y compris doses spécifiques selon l’âge, le sexe et l’individu
La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) a introduit l’utilisation de fantômes anthropomorphes fondés sur l’imagerie médicale ; des fantômes adultes de référence ont été fournis dans la Publication 110 de la CIPR (ICRP, 2009a). Les doses absorbées et les doses équivalentes sont désormais calculées séparément pour l’homme de référence et la femme de référence et leur moyenne est appliquée au calcul de la dose efficace pour la personne de référence, moyennée selon les deux sexes. En outre, la CIPR a élaboré un ensemble de fantômes de référence pour les enfants de différents âges (ICRP, 2020a). Elle fournira également des fantômes de référence pour la femme enceinte et le fœtus.
Si la dose efficace reste la grandeur de protection centrale, certains aspects de son calcul sont susceptibles de changer et d’autres seront reconsidérés. Il se peut qu’il ne soit pas nécessaire de simplifier ces calculs, les simplifications pouvant intervenir ultérieurement dans la mise en œuvre du système. Ainsi, il est possible de spécifier des valeurs de pondération des rayonnements qui utilisent les données scientifiques au mieux de nos connaissances actuelles. Il en va de même pour les facteurs de pondération tissulaires qui peuvent représenter avec plus de précision le détriment relatif ou un indicateur alternatif. En outre, plutôt que de calculer seulement deux valeurs de détriment et de détriment relatif pour les travailleurs et les personnes du public, moyennés selon les groupes d’âge et les deux sexes, il serait possible de spécifier le détriment et le détriment relatif séparément pour les hommes et les femmes de différents groupes d’âge. La dose efficace et le détriment associé pourraient alors être calculés séparément pour chaque groupe, en utilisant les connaissances scientifiques les plus fiables, de manière à accroître la transparence. Des simplifications pourraient être apportées à la fin de l’ensemble du processus, par exemple en définissant des critères de dose pour lesquels la moyenne est appropriée, comme par exemple pour les limites. Le lien entre la dose efficace et le risque stochastique, qui guide le système et l’optimisation de la protection, serait alors plus clair. Une telle évolution aurait évidemment des implications sur la gestion des risques dus aux rayonnements qu’il conviendrait d’identifier et d’évaluer.
Dans ce contexte, la CIPR (ICRP, 2021a) a estimé que la dose efficace, sous sa formulation actuelle, constitue « un indicateur approximatif des risques possibles pour la santé ». Des révisions de la méthode de calcul de la dose efficace pourraient améliorer son adéquation à l’évaluation des risques. Les meilleures évaluations du risque pour la santé devraient être calculées à l’aide d’estimations des doses absorbées dans les organes/tissus et de modèles de risque spécifiques à l’âge et au sexe pour chaque type de cancer. Cependant, les évaluations du risque à faible dose seront toujours soumises aux incertitudes inhérentes aux modèles de projection du risque.
4.3 Utilisation de la dose efficace en médecine
L’objectif initial et accepté de la dose efficace est la quantification des expositions aux rayonnements des travailleurs, dont le personnel médical, et des personnes du public afin de démontrer le respect des limites de dose et d’optimiser la protection contre les effets stochastiques, principalement le cancer (ICRP, 2007, 2021a). À cette fin, il a été décidé de se doter d’une grandeur unique permettant de mesurer et d’additionner les doses provenant de toutes les sources, applicable à l’ensemble des travailleurs et des personnes du public. La dose efficace a actuellement un usage plus limité dans les soins aux patients, où elle est principalement utilisée en médecine nucléaire et pour comparer les estimations de dose entre différents choix d’examens par imagerie. Cependant, il pourrait être avantageux d’utiliser une grandeur plus spécifique à chaque individu. La CIPR a mis au point des fantômes de référence masculins et féminins avec des coefficients de dose efficace de référence, mais ces calculs ne tiennent pas encore compte des différences de masse et de dimensions du corps et des organes entre les individus. Les fantômes dosimétriques modernes s’adaptent facilement aux tailles et aux dimensions des différents patients et peuvent être utilisés pour calculer une grandeur dérivée de la dose efficace spécifique de la taille ou du patient (voir le groupe de travail 113 de la CIPR sur les coefficients de référence de dose efficace et de dose à l’organe pour les examens courants d’imagerie diagnostique par rayons X). Des tableaux de détriment distincts pour les hommes et les femmes et pour les différents âges à l’exposition pourraient alors être utilisés pour examiner les risques potentiels liés aux expositions. Ces données permettraient d’obtenir une grandeur adaptée au patient, tout en reconnaissant que des estimations plus précises du risque radiologique sont possibles lorsque l’on dispose d’informations plus spécifiques pour un patient donné.
4.4 Coefficients de dose efficace
La CIPR fournit des séries de coefficients de dose (dose par unité d’exposition ou d’incorporation) pour les expositions à des sources de rayonnement externes, pour l’incorporation de radionucléides par inhalation et ingestion et pour l’administration de médicaments radiopharmaceutiques. Des changements dans la méthode signifient inévitablement que tous les coefficients de dose doivent être révisés en fonction des nouvelles recommandations générales. Les travaux actuellement en cours pour fournir des coefficients de dose fondés sur la méthode de la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) devraient également faciliter un nouveau calcul plus rapide après les prochaines recommandations générales. Il est prévu qu’un jeu complet de fantômes dosimétriques soit prêt à l’avance et qu’il n’y ait pas ou très peu de besoins de révision des modèles biocinétiques pour les radionucléides inhalés et ingérés. Il est possible que les doses n’aient pas besoin d’être recalculées pour de nombreux organes/tissus.
Il existe des lacunes dans les coefficients de dose mis à disposition pour les expositions des patients dans les procédures de radiodiagnostic, y compris en tomographie. Le groupe de travail 113 de la CIPR sur les coefficients de référence de dose efficace et de dose aux organes pour les examens courants d’imagerie diagnostique aux rayons X élabore actuellement des coefficients de dose efficace de référence pour une série d’examens, parallèlement aux travaux sur les coefficients de dose pour l’utilisation diagnostique des médicaments radiopharmaceutiques.
Des coefficients de dose seront établis pour les expositions à tous les âges, y compris pour le fœtus en développement, afin d’inclure les expositions consécutives à l’incorporation de radionucléides par la mère et à l’utilisation de médicaments radiopharmaceutiques.
Un autre projet en cours est la mise au point d’une méthode de dosimétrie d’urgence (Groupe de travail 112 de la CIPR sur la dosimétrie d’urgence) pour laquelle il est nécessaire d’envisager une dosimétrie prospective et rétrospective pour l’évaluation des effets stochastiques comme des réactions tissulaires.
4.5 Grandeurs dosimétriques pour le biote non humain et les écosystèmes
La dosimétrie aux fins de la protection du biote non humain et, de manière implicite, des écosystèmes, a été examinée pour la première fois par la Commission dans la Publication 108 de la CIPR (ICRP, 2008) et a été affinée par la suite dans la Publication 136 de la CIPR (ICRP, 2008, 2017). Plusieurs difficultés ont été rencontrées, notamment la variabilité en matière de tailles, de formes, d’anatomies, de densités et de milieux environnants. En outre, dans de nombreux cas, des transformations importantes ont lieu au cours du cycle de vie (par exemple, œufs, larves, métamorphose). À moins que des données de mesure ne soient disponibles, l’analyse de l’exposition nécessite également des estimations des niveaux de radionucléides dans l’environnement et de leur transfert aux organismes présents dans l’environnement ; cet aspect a été examiné dans la Publication 114 de la CIPR (ICRP, 2009d).
Pour développer une approche dosimétrique opérationnelle, il a été nécessaire de procéder à des simplifications et à des généralisations, notamment :
-le recours à la dose absorbée pour établir un lien entre la dose et l’effet (et le risque) ; il n’existe actuellement aucune autre alternative qui permette de comprendre le risque en fonction de la dose, à l’instar de la dose efficace pour la protection radiologique des personnes ;
-l’établissement de coefficients de dose pour 12 RAP typiques des environnements marins, aquatiques et terrestres, représentés par des géométries simplifiées telles que des sphères et des ellipsoïdes ;
-et l’établissement de jeux de données pour les rapports de concentration à l’équilibre d’une série d’éléments afin de faciliter les évaluations du transfert de radionucléides dans différents milieux environnementaux pour les 12 RAP, sans tenir compte de l’anatomie ni de la distribution des radionucléides dans les organes aux fins de la dosimétrie interne.
En général, on estime que l’approche actuelle de calcul des coefficients de dose est à la fois raisonnable et applicable. Des facteurs tels que le transfert des radionucléides dans l’environnement, la délimitation du champ d’irradiation externe et du groupe exposé ainsi que les rapports de concentration entre l’organisme et l’environnement peuvent, dans de nombreux cas, engendrer des incertitudes dans les évaluations de dose supérieures à celles des coefficients de dose. La CIPR entend participer aux travaux internationaux prévus afin de déterminer les techniques les plus adaptées aux différentes situations d’exposition.
Il sera probablement nécessaire de procéder à une dosimétrie plus détaillée lorsque l’on considèrera les animaux comme des patients vétérinaires. Bien que ne justifiant pas toujours la sophistication des modèles anatomiques utilisés en dosimétrie humaine, certaines versions simplifiées de ces modèles pourraient être mises au point et affinées si nécessaire (par exemple, à des fins de recherche translationnelle).
5 Effets et risques
5.1 Classification des effets du rayonnement
La classification des effets sur la santé radio-induits en « effets stochastiques » (cancer et maladies héréditaires) et en « réactions tissulaires nocives » à des fins de protection doit être réexaminée afin de s’assurer qu’elle reste adaptée aux besoins. Par exemple, à des fins de protection, il peut s’avérer utile de faire la distinction entre les réactions tissulaires graves et les autres, ou entre les effets sur la santé à court et à long terme. Certains effets sur la santé peuvent ne pas bien correspondre à l’une ou l’autre de ces catégories (par exemple, la cataracte, les maladies du système circulatoire). Quelle que soit la classification retenue, il sera nécessaire d’évaluer l’impact sur la gestion des risques radiologiques en termes de tolérabilité des risques et de mise en perspective avec les autres risques. Une éventuelle reclassification ne modifiera pas les exigences fondamentales visant à prévenir les réactions tissulaires graves (en utilisant des doses à l’organe/tissu) et à optimiser la protection contre les effets à faible dose et à faible débit de dose, principalement le cancer (en utilisant la dose efficace).
5.2 Réactions tissulaires
Des dommages irréversibles graves se produisent dans les organes et les tissus en cas de doses élevées pour le corps entier (> 0,5 Gy) lors d’expositions aiguës et prolongées (ICRP, 2012). Ces effets à forte dose, appelés « réactions tissulaires », comprennent les syndromes d’irradiation aigus qui peuvent entraîner des dommages irréversibles à la moelle osseuse hématopoïétique, au tractus intestinal et au cerveau, mais aussi des dommages directs à d’autres organes et tissus. Le système actuel stipule que les réactions tissulaires devraient être évitées ; il pourrait être précisé que la prévention s’applique aux réactions tissulaires graves et irréversibles (qui se produisent généralement à des doses > 0,5 Gy, sauf dans le cas d’expositions in utero). Compte tenu de ces éléments, l’embryon/fœtus en développement devrait être traité comme un cas particulier pour lequel des seuils plus bas s’appliquent (ICRP, 2003, 2007).
Il est possible que les réactions tissulaires résultant de la détérioration de la fonction cellulaire entraînent des réactions tissulaires moins graves à des doses plus faibles (< 0,5 Gy) pour une exposition aiguë ou prolongée (ICRP, 2012). En ce qui concerne la formation de la cataracte et les maladies du système circulatoire, certaines données indiquent que des seuils d’environ 0,5 Gy peuvent s’appliquer et d’autres données peuvent également être interprétées comme suggérant des relations dose-réponse sans seuil (ICRP, 2012; Little et al., 2012; Bouffler et al., 2015; Tapio et al., 2021). La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) n’a apporté aucune modification aux limites de dose annuelles précédemment recommandées pour les réactions tissulaires en relation avec les situations d’exposition planifiées, exprimées en dose équivalente, de 150 mSv pour le cristallin de l’œil et 500 mSv pour la peau et les extrémités (mains et pieds) pour les expositions professionnelles ; et de 15 mSv pour le cristallin de l’œil et 50 mSv pour la peau pour les expositions du public. Par la suite, la CIPR a publié une déclaration (ICRP, 2012) concernant les réactions tissulaires (Statement on Tissue Reactions) recommandant que la limite annuelle de la dose équivalente au cristallin pour les expositions professionnelles soit réduite à 20 mSv en moyenne sur 5 ans, sans excéder 50 mSv sur une année donnée. Cette déclaration a également attiré l’attention sur la nécessité pour les médecins d’être conscients que des doses aussi faibles que 0,5 Gy au cœur ou au cerveau peuvent affecter le système circulatoire, car des doses de cette ampleur peuvent être atteintes au cours de certaines procédures interventionnelles complexes.
Il convient de s’interroger sur la justification de limites différentes pour les travailleurs et les personnes du public qui peuvent ne pas être étayées par des données scientifiques. Des limites uniques de 500 mGy pour la peau et de 20 mGy pour le cristallin, par exemple, s’appliqueraient alors à toutes les expositions des travailleurs et des personnes du public.
5.3 Cancer à faibles doses et débits de dose
Plusieurs hypothèses et jugements sont retenus pour quantifier le risque de cancer lié aux faibles doses et débits de dose (ICRP, 2007). Sur la base des analyses épidémiologiques des années 1990, un facteur d’efficacité de la dose et du débit de dose (Dose and Dose Rate Effectiveness Factor, DDREF) de 2 a été appliqué au risque de cancer solide dérivé des études sur les survivants de la bombe atomique. Actuellement, les données épidémiologiques permettent de conclure à l’exitence d’un DDREF > 1 pour les cancers solides chez l’homme, mais cette estimation comporte des incertitudes statistiques et méthodologiques considérables ; les analyses se poursuivent donc (Rühm et al., 2016; Shore et al., 2017). Les données sur les animaux et in vitro indiquent des relations dose-réponse curvilignes qui justifient en partie l’utilisation d’un DDREF > 1. Comme discuté dans la Publication 131 de la CIPR (ICRP, 2015), les facteurs constitutifs du DDREF – facteur d’efficacité de la dose et facteur d’efficacité du débit de dose – peuvent être considérés comme mécaniquement distincts, le premier s’appliquant aux faibles doses aiguës et le second aux doses prolongées pour lesquelles la cinétique à long terme des cellules souches cibles peut modifier les réponses.
Dans le système actuel, des modèles linéaires sont utilisés pour tenir compte de la relation entre la dose et le risque de cancer solide, et un modèle linéaire-quadratique est utilisé pour tenir compte de la relation entre la dose et le risque de leucémie (ICRP, 2005, 2007). De nombreux résultats épidémiologiques ont été publiés ces dernières années et ont permis d’améliorer nos connaissances sur la forme de la relation dose-risque pour des sites de cancer spécifiques et sur l’impact des facteurs modifiant cette relation (par exemple, le sexe, l’âge à l’exposition, l’âge atteint). Bien qu’il y ait encore de grandes incertitudes pour les faibles doses (UNSCEAR, 2012), certains résultats récents montrent des relations à des doses < 0,1 Gy (Lubin et al., 2017; Little et al., 2018; Hauptmann 2020) sans que l’existence d’un seuil soit clairement établie.
Dans un examen de toutes les études épidémiologiques pertinentes, le NCRP a conclu que les données épidémiologiques actuelles soutiennent l’utilisation de la relation dose-réponse linéaire sans seuil (Linear No Threshold, LNT) à des fins de protection radiologique, aucun autre modèle ne représentant une interprétation plus pragmatique (NCRP, 2018b). Un examen récent des mécanismes biologiques pertinents pour l’inférence du risque de cancer dû à des rayonnements à faible dose et à faible débit de dose a également conclu qu’il est toujours justifié d’utiliser un modèle sans seuil pour l’inférence du risque à des fins de protection radiologique (UNSCEAR, 2021b). Un examen critique des résultats scientifiques récents sur la forme des relations dose-risque et l’influence du débit de dose est en train d’être mené par le groupe de travail 91 de la CIPR sur l’inférence du risque de rayonnement à l’exposition à faible dose et à faible débit de dose à des fins de protection radiologique. Ces travaux sont nécessaires pour s’assurer que, sur la base des preuves scientifiques, le modèle LNT constitue bien l’hypothèse la plus appropriée aux fins de la protection radiologique.
L’hypothèse de la relation dose-réponse LNT sous-tend l’utilisation de la dose efficace comme grandeur de protection, ce qui permet d’additionner et de comparer des doses externes et internes de différentes ampleurs, délivrées avec différents schémas temporels et spatiaux. Toutefois, il convient de reconnaître que, si les faibles doses peuvent être mesurées ou estimées avec une fiabilité raisonnable, le risque associé aux effets stochastiques sur la santé est incertain, et le devient de plus en plus à mesure que la dose diminue.
5.4 Réponse individuelle
Le groupe de travail 111 de la CIPR sur les facteurs régissant la réponse individuelle des humains aux rayonnements ionisants examine la littérature scientifique en relation avec les réactions tissulaires et les effets stochastiques afin d’évaluer les répercussions possibles sur le système. Certains facteurs sont déjà très clairs, comme l’influence du tabagisme, de l’âge et du sexe (ICRP, 2021a). D’autres facteurs, notamment génétiques et liés au mode de vie, apparaissent comme des modificateurs potentiels des réponses, mais ils sont moins bien définis. Le système actuel ne permet pas de différencier explicitement les individus selon ces facteurs, bien que l’optimisation de la radioprotection tienne compte de ces facteurs dans certains cas, par exemple en protégeant les enfants de manière préférentielle.
Il n’est pas certain que les données scientifiques seront suffisantes dans les prochaines années pour changer fondamentalement la manière dont le système protège les travailleurs et les personnes du public. Cependant, il existe déjà des efforts visant à personnaliser la radioprotection des patients qui devraient être considérés lors de l’examen du système, en tenant compte des aspects scientifiques, éthiques et pratiques. Plus généralement, il y a des questions éthiques qui doivent être discutées à mesure que les informations sur les variations de la réponse en fonction des caractéristiques individuelles deviennent plus largement disponibles.
5.5 Effets héréditaires
La Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) note qu’il n’existe pas de preuves directes fiables, issues d’études épidémiologiques humaines, des effets héréditaires délétères des rayonnements, mais considère que l’inclusion du risque héréditaire dans le risque stochastique global est une interprétation prudente des preuves des effets héréditaires chez les animaux de laboratoire. Après une analyse détaillée de l’UNSCEAR (2001) et de la CIPR (ICRP, 2007), les évaluations du risque héréditaire sur deux générations ont été appliquées aux calculs du détriment radiologique. Compte tenu des nouvelles connaissances sur les mécanismes génétiques et épigénétiques, il convient d’examiner la validité de cette hypothèse 20 ans plus tard. Un groupe de travail de la CIPR sur les effets de l’exposition aux rayonnements ionisants sur la descendance et les générations suivantes est envisagé pour examiner la littérature scientifique afin d’évaluer les répercussions possibles sur le système.
5.6 Pondération radiologique des différents effets
Il existe de solides preuves, compatibles avec les caractéristiques physiques, que les types de rayonnement diffèrent dans leur efficacité par Gy à provoquer des effets biologiques. Les recommandations générales de 2007 (ICRP, 2007) utilisent un simple tableau de facteurs de pondération radiologique pour tenir compte de cette différence, en s’appuyant principalement sur des données relatives au risque de cancer radiologique.
Cependant, les facteurs de pondération radiologique actuels ne tiennent pas pleinement compte des données disponibles sur l’efficacité biologique relative (EBR) des différents types de rayonnement. Par exemple, certaines données limitées indiquent que les photons et les électrons de faible énergie présentent une efficacité par Gy supérieure à celle des rayons gamma du 60Co comme référence, par des facteurs allant jusqu’à 2 ou 3, si l’on considère les effets liés au cancer (NCRP, 2018c). Il y a également des preuves que les valeurs EBR des particules alpha diffèrent selon les types de cancer, avec une valeur faible pour la leucémie et des valeurs plus élevées pour le cancer du poumon et du foie. L’utilisation d’une valeur unique de 20 pour les ions lourds surestimera le risque dans de nombreux cas et il est justifié d’employer une approche plus sophistiquée pour l’étude des doses dans l’espace. Conformément à l’approche globale présentée dans cet article pour encourager la discussion, il convient d’utiliser les connaissances scientifiques les plus récentes pour calculer les grandeurs de protection plutôt que d’appliquer des simplifications. Le groupe de travail 118 de la CIPR sur l’EBR, le facteur de qualité (Q) et le facteur de pondération radiologique (wR) examine la littérature scientifique pour évaluer les répercussions possibles sur le système.
En général, les valeurs d’EBR pour des réactions tissulaires à des doses élevées, impliquant une destruction massive des cellules dans les tissus, sont inférieures aux valeurs pour des effets liés au cancer à de faibles doses. Il est envisagé, pour les réactions tissulaires, qu’un ensemble distinct de facteurs de pondération radiologique soit élaboré pour le calcul de la dose absorbée pondérée par type de rayonnement (voir Sect. 4.1). Compte tenu de l’augmentation de l’utilisation clinique des rayonnements alpha, proton et ions lourds en médecine, et de l’élargissement o=potentiel de leurs applications, il est nécessaire de fournir des valeurs pour ces applications.
5.7 Détriment radiologique
Le détriment radiologique est un concept utilisé pour quantifier les effets nocifs des expositions aux rayonnements sur la santé à de faibles doses ou à de faibles débits de dose, en tenant compte de la gravité de la maladie en termes de létalité, de qualité de vie et d’années de vie perdues. Il s’applique actuellement aux effets stochastiques, incluant le cancer et les effets héréditaires. Le système repose sur l’hypothèse d’une relation directement proportionnelle entre la dose efficace et le détriment radiologique. La méthode de calcul et les perspectives d’évolution de cette grandeur ont été examinées récemment par le groupe de travail 102 de la CIPR sur la méthode de calcul du détriment.
Les coefficients de risque nominaux et de détriment fournis dans la Publication 103 de la CIPR (ICRP, 2007) sont des valeurs moyennes pour l’âge, le sexe et la population. Ils sont calculés à la fois pour l’ensemble de la population (0–89 ans au moment de l’exposition) et pour la population active (18–64 ans au moment de l’exposition). Les risques pour la population générale sont un peu plus élevés, car ils sont généralement supérieurs pour les expositions à des âges plus jeunes et l’espérance de vie est plus grande que pour les adultes.
Pour les prochaines recommandations générales, un suivi plus long des cohortes épidémiologiques et des analyses plus poussées permettront de disposer de meilleurs fondements pour estimer les risques vie entière. Il est probable que des évaluations spécifiques du risque seront disponibles pour un plus grand nombre d’organes/tissus et de types de cancer. Il devrait également être possible de quantifier l’incidence du cancer pour différents groupes d’âge, et séparément pour les hommes et les femmes. Ainsi, le détriment pourrait être calculé séparément pour les hommes et les femmes et pour différents âges à l’exposition. En outre, les valeurs correspondantes du détriment relatif pourraient être utilisées directement dans le calcul de la dose efficace, plutôt que d’utiliser comme c’est le cas actuellement des facteurs de pondération simplifiés des tissus en fonction de l’âge et du sexe (voir Sect. 4.2). Outre les aspects liés au cancer, d’autres effets à développement tardif, tels que les opacités du cristallin et les maladies du système circulatoire, doivent être évalués dans l’expression du dommage sanitaire. Le traitement explicite du détriment dû à une irradiation in utero pourrait également être réévalué.
Des alternatives au détriment comme expression du dommage sanitaire seront considérées. Par exemple, Breckow (2020) a suggéré que l’utilisation de la mortalité serait plus simple et plus claire. Elle permettrait des comparaisons plus directes avec d’autres agents cancérigènes. D’autres mesures du dommage sanitaire, telles que les années de vie perdues corrigées de l’incapacité (Disability-Adjusted Life Years, DALY) (Shimada et Kai, 2015; WHO, 2021), ont également été discutées, et leur utilisation comme mesure des dommages causés par les rayonnements devrait être étudiée.
5.8 Effets et risques pour le biote non humain et les écosystèmes
La Publication 108 de la CIPR (ICRP, 2008) comprend un examen des données sur les effets existants pour les 12 RAP. Cet examen porte sur les effets des rayonnements sur la mortalité, la morbidité et le succès reproductif qui sont considérés comme les plus pertinents pour la protection de l’environnement. L’examen comprend des données issues d’expériences en laboratoire et des observations sur le terrain lors d’irradiations expérimentales ou dans des environnements contaminés (par exemple après des accidents).
L’examen a permis de déterminer des DCRL correspondant à des « intervalles » de débit de dose absorbée pour lesquels on peut s’attendre à un certain effet délétère, pour des RAP spécifiques. Plutôt que d’être prescriptifs, les DCRL fournissent des indications qui informent les décideurs sur le moment où il serait prudent de se demander si un effet indésirable des rayonnements dans l’environnement est déjà imminent ou pourrait être attendu, et de prendre en compte cette information dans le processus décisionnel. Cela permet de guider le processus d’optimisation, à l’instar des niveaux de référence fixés pour guider les actions de protection des personnes (ICRP, 2014a).
Une analyse plus poussée des données expérimentales a été effectuée afin d’établir des facteurs de pondération pour différentes qualités de rayonnement dans le but de relier les données sur les effets pour le biote à la dose absorbée (débit) (ICRP, 2021b). Sur cette base, un facteur de pondération de la dose absorbée de 10 apparaît généralement applicable pour les rayonnements alpha.
Bien que les DCRL ne soient pas incompatibles avec les nouvelles données (par exemple, les observations de l’accident nucléaire de 2011 au Japon (UNSCEAR, 2021a), une analyse plus approfondie pourrait être nécessaire pour déterminer leur pertinence dans un contexte d’écosystème et dans le cadre de l’impact des activités humaines sur l’environnement (par exemple, Brechignac et al., 2016; Vandenhove et al., 2018). Tous ces éléments font partie des travaux en cours du groupe de travail 99 de la CIPR sur les monographies consacrées aux RAP (voir Sect. 4.5). En outre, et comme mentionné à la section 2.3, un élargissement de la portée des travaux de la CIPR sur la protection de l’environnement pourrait être envisagé pour couvrir tous les écosystèmes, des écosystèmes naturels à ceux fortement influencés par l’homme, qui fournissent divers services essentiels aux personnes. Cela pourrait nécessiter un nouvel objectif dans le cadre des travaux de la CIPR sur la protection de l’environnement, ainsi qu’une réévaluation des effets et de leur catégorisation.
6 Conclusions
Le dernier examen du système de radioprotection a été entrepris il y a 23 ans, et les recommandations générales actuelles (ICRP, 2007) ont été publiées il y a 14 ans. Le système a bien fonctionné et demeure robuste. Par ailleurs, sa stabilité présente des avantages importants sur le plan pratique. Néanmoins, il convient de continuer de l’adapter à l’évolution de la société, aux avancées des connaissances scientifiques et à l’apparition de nouvelles utilisations des rayonnements ionisants.
Il est important de veiller collectivement à ce que les meilleurs éléments du système soient conservés et que les domaines devant faire l’objet d’amélioration bénéficient d’une collaboration étendue. Le système doit respecter les meilleures connaissances scientifiques ainsi que des principes éthiques solides, tout en étant facile à mettre en œuvre.
Dans ce cadre, la clarte doit etre de rigueur afin que toute personne interessee par la protection radiologique puisse comprendre le fonctionnement du systeme. Bien que ce soient generalement les professionnels qui le mettent en oeuvre, ce systeme est fondamental pour les patients, les travailleurs et les autres personnes qui en beneficient. Sa clarte contribuera a sa comprehension, a sa communication et a son application dans le monde entier. Le role d’une communication efficace ne saurait etre sous-estime lorsque des risques radiologiques sont en jeu, comme 1’a recemment souligne 1’Agence pour 1’energie nucleaire (NEA, 202 1)jh -la confiance est aussi bien la cause que la consequence d’une communication efficace
Conflit d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt financier connu ni aucune relation personnelle qui aurait pu influencer le travail rapporté dans cet article.
Financement
Aucun financement spécifique n’a été reçu pour cet article.
Accord éthique
Aucun accord éthique n’est requis pour cet article.
Consentement éclairé
Aucun consentement éclairé n’a été requis pour cet article.
Contributions des auteurs
Tous les auteurs ont contribué à la rédaction et à la discussion de cet article.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Jean-Francois Lecomte, Eric Blanchardon et François Paquet (IRSN, France) et Thierry Schneider (CEPN, France) pour leur aide dans la vérification de la traduction de cet article en français.
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Cite this article as: Clement C, Rühm W, Harrison J, Applegate K, Cool D, Larsson CM, Cousins C, Lochard J, Bouffler S, Cho K, Kai M, Laurier D, Liu S, Romanov S. 2022. Maintenir les recommandations de la CIPR adaptées aux besoins. Radioprotection 57(2): 93–106
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