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Issue
Radioprotection
Volume 53, Number 1, January-March 2018
Page(s) 51 - 60
DOI https://doi.org/10.1051/radiopro/2018002
Published online 08 March 2018

© EDP Sciences 2018

1 Introduction

Le principe de la réparation forfaitaire des accidents du travail (loi du 9 avril 1898) a été étendu pour constituer le système de reconnaissance des maladies professionnelles (MP), créé par une loi, le 25 octobre 1919, après 18 années de débats à la « Chambre des députés ».

Comme il est souvent difficile d’établir un lien causal incontestable entre une maladie et les travaux effectués qui l’ont provoquée, c’est un principe de « présomption d’origine » qui a été adopté dans la loi française. Cette présomption ne s’applique que si plusieurs conditions sont remplies par la victime. Les éléments qui permettent l’application de cette présomption d’origine sont décrits dans un « tableau ». La loi de 1919 ne comportait que deux tableaux. Il faudra attendre 11 ans, pour qu’une loi crée quatre autres tableaux (dont les rayonnements ionisants, le 1er janvier 1931) et renvoie les créations et modifications de tableaux, du débat public (Assemblée nationale) à une procédure administrative par décret (Ministère du Travail).

Après avoir décrit les dispositifs réglementaires de reconnaissance des maladies professionnelles, nous analysons le contenu des différentes données publiées afin de voir celles qui se rapprochent le plus de notre objectif : l’évaluation la plus complète des maladies radioinduites reconnues au cours des 60 dernières années (1956–2015). L’étendue des informations publiées a évolué, par étapes, depuis 1956 et ce n’est que depuis 1994 que nous disposons de toutes les données utiles pour un bilan. Toutefois, les définitions de plusieurs paramètres tels que les maladies, les victimes ou les décès reconnus, qui sont fixés par la sécurité sociale, répondent surtout à des critères de gestion administrative et financière internes, ce qui réduit les possibilités d’analyse et de bilans.

2 Le système français de reconnaissance des maladies professionnelles

Le système principal de reconnaissance des MP a pour base technique des tableaux. Chaque tableau créé comporte trois colonnes : une liste limitative des maladies provoquées par l’exposition habituelle à un toxique chimique, physique, biologique ou par des postures, un délai de prise en charge (délai entre la fin de l’exposition et première constatation médicale) pour chaque affection retenue et une liste indicative ou limitative des travaux qui sont susceptibles de provoquer une ou plusieurs affections, du fait de l’exposition chronique au toxique. Pour certaines affections, un temps d’exposition minimal au toxique, associé au délai de prise en charge, est également requis. Ce critère concerne un tableau sur quatre.

Lorsque la décision administrative concernant les trois, ou quatre critères du tableau est positive, l’affection de la victime est présumée découler de son exposition professionnelle et devrait obtenir le statut de « MP reconnue ». Cependant, pour que le salarié puisse recevoir des indemnités, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) doit dire si la victime est consolidée (c’est-à-dire que son atteinte n’évolue plus), puis fixer un « taux d’incapacité partielle permanente » (IPP) qui donne droit à une indemnité sous la forme d’un capital ou d’une rente.

Du fait de sa rigidité, ce système s’est traduit dans certains cas par des taux de refus importants. En outre, la lente évolution des tableaux conduit également à ignorer des maladies dont la nature professionnelle est pourtant avérée. En effet, la rédaction de ces tableaux ne découle pas strictement des connaissances médicales et scientifiques. Elle résulte, sur la base de ces données techniques, d’une négociation « sociale » point par point, entre les représentants des salariés, des employeurs, en présence d’experts extérieurs et sous l’arbitrage du Ministère du Travail.

Plus une atteinte est grave (cancers), plus son inclusion dans un tableau et la fixation des paramètres de sa prise en charge seront ardues, car la reconnaissance de cette affection entraîne une augmentation des cotisations (risque AT/MP) qui touche principalement les entreprises de 150 salariés et plus.

Pour répondre aux problèmes posés par la rigidité des tableaux, un système complémentaire de reconnaissance des MP a été créé en 1993 afin d’examiner les cas où :

  • la victime, qui a bien une affection figurant au tableau de MP relatif au toxique auquel elle est exposée, ne répond pas à un ou plusieurs autres critères du tableau. Dans ce cas, la « présomption d’origine » n’est plus acquise. La victime doit apporter la preuve d’un lien direct entre ses travaux et la survenue de son affection. Ce cas est prévu à l’article L.461-1 3e alinéa du code de la sécurité sociale ;

  • survient chez un travailleur exposé, une affection qui ne figure pas au tableau relatif au toxique auquel il est exposé (par exemple, pour le tableau 6, le cancer de la thyroïde) ou s’il n’existe pas encore de tableau pour ce toxique, c’est alors la preuve d’un lien direct et essentiel qui doit être apportée par la victime (article L.461-1 4e alinéa).

Dans la suite du texte, ces deux voies du « système complémentaire » seront désignées par 3e et 4e alinéa. C’est un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) qui examine les dossiers qui relèvent du domaine des 3e et 4e alinéa défini ci-dessus. Ce comité de trois médecins, dont un professeur d’université, émet un avis qui s’impose à la CPAM qui lui a soumis le dossier.

Les données sur les maladies professionnelles que nous allons présenter reposent sur les statistiques établies par la CNAMTS et ne concernent que les seuls salariés du « Régime général ».

Nous verrons que le nombre de maladies professionnelles reconnues se décline, dans les statistiques de la CNAMTS, suivant trois appellations différentes, qui sont par ordre d’importance numérique : les « maladies professionnelles reconnues », les « maladies professionnelles en 1er règlement » et (depuis 2007) le « nombre de victimes ».

Il est nécessaire de connaître les définitions administratives non intuitives, de ces trois données pour analyser l’évolution de la reconnaissance des MP relatives à un tableau. Ces chiffres vont légèrement évoluer dans les deux années qui suivent leur 1re publication avant d’être définitifs.

3 Le cas des affections radioinduites du tableau 6

Entre janvier 1931, création du tableau 6 relatif aux affections provoquées par les rayonnements ionisants, et juin 1984, six versions du tableau ont été produites. La dernière version du tableau 6, encore en vigueur a été publiée par décret n° 84-492 du 22 juin 1984.

La première version, intitulée « Maladies engendrées par les rayons X ou les substances radioactives », comportait six affections dont deux cancers : la leucémie et le « cancer des radiologistes » (cancer cutané). Fin 1950, le nombre des affections est porté à douze et deux cancers « historiques » apparaissent : le sarcome osseux et le cancer broncho-pulmonaire par inhalation.

Le « sarcome osseux » est survenu aux USA, au début des années 1920, chez les « Radium girls », de jeunes femmes qui peignaient des cadrans avec de la peinture radio-luminescente à base de radium 226. Les excès de « cancer broncho-pulmonaire » ont été trouvés dans pratiquement toutes les études épidémiologiques, relatives aux mineurs d’uranium qui inhalaient du radon 222, ses descendants et des poussières de minerai.

4 Les premières données statistiques de la CNAMTS

Les premières statistiques relatives aux maladies professionnelles (MP) reconnues, publiées par la « Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés » (CNAMTS), étaient très succinctes. Elles se trouvaient dans une brochure annuelle, hors commerce, à diffusion réduite, portant le titre de : Statistiques nationales d’accidents du travail.

Pour le tableau 6, relatif aux affections radioinduites, seul le nombre total d’affections reconnues (1948–1955) était fourni. Le nombre de décès concernait l’ensemble des tableaux. Les décès en lien avec l’affection ne sont donnés que depuis 1956.

Ce 1er bilan sommaire figure au tableau 1. Le nombre moyen de MP radioinduites reconnues est de 20/an et le nombre de décès voisin de 2/an (soit 9,5 % des cas de MP). Nous verrons plus loin pourquoi ces deux chiffres sont sous-évalués.

À partir de 1968, les données relatives aux reconnaissances ont été enrichies, sans couvrir cependant toutes les affections. Au tableau 6, le nombre des « radiodermites » (aiguës et chroniques) reconnues a été ajouté. Les données sur les « leucémies » ont été complétées par les « Autres affections sanguines » et toutes les « Autres affections » se sont retrouvées réunies dans une dernière colonne. Ces données, qui agrègent notamment le nombre de « cataractes », de « sarcomes osseux » et de « cancers broncho-pulmonaires » reconnus, sont donc inutilisables.

Le tableau 2 présente un 2e bilan (1968–1993). Le nombre moyen de MP reconnues a diminué de 13 % en passant de 20,1 à 17,4 par an, avec près de 4 cas de leucémies sur 10 MP (38,5 %), un nombre de décès égal à plus d’un cas sur quatre (28,8 %) et un taux de décès qui a triplé par rapport au bilan précédent (9,5 % à 27,7 %).

Il faudra attendre 1994 pour avoir dans les statistiques détaillées de la CNAMTS les premières données relatives aux « cancers broncho-pulmonaire » et aux « sarcomes osseux » reconnus.

Tableau 1

Évolution du nombre de MP reconnues au titre du tableau 6, de 1956 à 1967.

Evolution of the number of OD recognized in board N°6, from 1956 to 1967.

Tableau 2

Évolution du nombre de MP du tableau 6 de 1968 à 1993.

Evolution of the number of OD from board N°6 from 1968 to 1993.

5 L’évolution des données publiées par la CNAMTS

En plus des maladies professionnelles reconnues dans le cadre des tableaux, les statistiques de la CNAMTS fournissent également de 1994 à 2000 le nombre d’affections reconnues au titre des alinéas 3 et 4 (de l’article L.461-1) du système de reconnaissance complémentaire.

Le tableau 3 regroupe l’ensemble des données disponibles fournies par la CNAMTS. À partir de 2001, le nombre des données se réduit, car les maladies reconnues au titre de l’alinéa 3 sont additionnées à celles reconnues dans le cadre des tableaux, tandis que les maladies radioinduites reconnues hors-tableau 6, n’apparaissent plus (CNAMTS, 2003).

En termes de bilans fondés sur les statistiques annuelles de la CNAMTS, dont nous verrons qu’elles sont inférieures à la réalité des atteintes, il y a eu en moyenne 19,7 maladies radioinduites reconnues par an en 60 ans (1956–2015). Les leucémies reconnues sont en moyenne de 7,0 cas annuels en 48 ans (1968–2015). Les données relatives aux autres cancers n’apparaissent que depuis 1994.

Pour les 22 dernières années connues (1994–2015), le nombre moyen de MP radioinduites reconnues a augmenté, par rapport à 1968–1993, en passant de 17,4 à 22,2/an (+ 27,6 %) et les cancers reconnus représentent sept cas sur dix affections radioinduites (69,1 %).

Les leucémies (7,4/an) et les cancers broncho-pulmonaires (7,3/an) font part égale et dominent très largement (95,8 % des 15,3cancers reconnus en moyenne par an) devant les sarcomes osseux (0,7 cas/an).

Tableau 3

Évolution du nombre de cancers reconnus au tableau 6 de 1994 à 2015.

Evolution of the number of cancers recognized in board N°6 from 1994 to 2015.

5.1 La réduction des données publiées par la CNAMTS

À partir de 2001, les données fournies par la CNAMTS diminuent en nombre. Pour les maladies « hors-tableau » (alinéa 4), nous ne disposons plus que du nombre total de MP reconnues et du nom de ces affections, fourni sans lien avec le toxique à l’origine de la maladie. À titre indicatif, le tableau 4 regroupe les données que nous avons pu recueillir, par divers canaux, sur les maladies radioinduites, relevant de l’alinéa 4, ayant reçu l’avis favorable d’un CRRMP, sans que l’auteur puisse garantir l’exhaustivité de ces informations.

Les données qui fournissent le lien entre les toxiques et les affections qu’ils provoquent existent pourtant en interne à la CNAMTS, mais elles ne sont pas accessibles au public et aux associations de défense des victimes de MP. Ce déficit d’information prive les victimes, comme les chercheurs et les préventeurs, de la connaissance de la « jurisprudence » interne de la CNAMTS.

La publication de ces informations pourrait constituer une base de données utile, permettant de modifier des tableaux existants ou d’en créer de nouveaux.

Tableau 4

« Avis favorables » émis par les CRRMP au titre de l’alinéa 4, pour des maladies radioinduites, de 1995 à 2007.

“Favorable judgment” issued by CRRMPs under paragraph 4, for radio-induced diseases, from 1995 to 2007.

6 Les subtilités des statistiques de la CNAMTS

Des précautions doivent être prises dans l’utilisation des données de la CNAMTS. Ainsi, les données statistiques de l’année « N », ne deviennent définitives qu’au dénombrement de la fin de l’année « N + 2 », lequel n’est connu qu’au 1er semestre de l’année N + 3. Les nombres de MP des deux dernières années, d’une nouvelle publication de la CNAMTS, ne sont donc pas définitivement établis. Nous allons décrire les autres précautions qui doivent être prises pour interpréter les données relatives aux nombres de maladies professionnelles, de victimes ou de décès reconnus.

6.1 La différence entre le nombre de MP reconnues et le nombre de victimes

Jusqu’en 2006, la CNAM comptabilisait, sans jamais l’avoir précisé, les « victimes » et non pas les « maladies professionnelles » reconnues. Ainsi dans ses bilans, il n’y avait pas de différence entre la victime d’une seule MP avec celle atteinte par deux affections. À partir de 2007, la CNAM prend en compte toutes les MP reconnues. Le tableau 5 montre, pour les 10 dernières années, l’écart existant entre le nombre de victimes et celui des maladies professionnelles.

Le nombre de MP reconnues pour la période 2006–2015 est en moyenne supérieur de 7,8 % au nombre de victimes indemnisées, ou dit autrement, 7,8 % des victimes étaient atteintes de deux MP. L’ancienne comptabilité administrative de la CNAMTS, qui a été la règle jusqu’en 2007, sous-évaluait probablement de près de 8 % le nombre réel de MP.

Tableau 5

Évolution du nombre de MP et de victimes reconnues pour l’ensemble des tableaux.

Evolution of the number of MP and victims recognized for all the tables.

6.2 Les deux cas de dénombrement des MP reconnues

La CNAMTS produit deux types de statistiques :

  • les « statistiques trimestrielles », qui comptabilisent l’ensemble des MP déclarées, constatées et reconnues en fonction de la date de survenance ;

  • les statistiques annuelles dites « statistiques technologiques », qui ne comptabilisent que les MP ayant donné lieu à un premier règlement de prestations dans l’année considérée (indemnités journalières, indemnité en capital ou rente, un capital décès).

Il découle de ces définitions que les données des statistiques « annuelles » seront inférieures à celles de la somme des données des quatre statistiques « trimestrielles » correspondantes. Une maladie professionnelle reconnue l’année même où elle est déclarée, mais qui n’a pas entraîné un arrêt de travail, ou qui n’a pas fait l’objet d’un versement en lien avec l’affection, ne sera comptée que dans les « statistiques trimestrielles ». Cette MP, bien que reconnue, disparaît donc des « statistiques technologiques » qui sont pourtant les seules à être détaillées, tableau par tableau, et symptôme par symptôme. Ce choix de la CNAMTS occulte les données relatives à un nombre significatif de maladies professionnelles.

Certaines années, des publications (CNAM, Eurogip, INRS, Ministère du Travail) donnent pour quelques critères, des répartitions sur la base des quatre statistiques trimestrielles.

Les nombres de MP reconnues annuellement, par tableau ou par symptôme, sont alors toujours supérieurs à ceux fournis par la CNAMTS.

Nous avons regroupé dans le tableau 6 les données relatives aux dix dernières années connues (2005–2014). Elles montrent les écarts distinguant ces deux types de statistiques : les MP fournies par les statistiques technologiques, appelées « MP en 1er règlement » par la CNAMTS, ne représentent en moyenne que 74,9 % de l’ensemble des MP reconnues (statistiques trimestrielles).

En moyenne pour la période 2005–2014, les dix dernières années connues, une victime de MP reconnue sur quatre (25,1 %) n’a reçu ni indemnité, ni rente, au titre de sa maladie professionnelle, l’année de la reconnaissance de sa maladie. (une leucémie découverte fortuitement n’entraîne pas nécessairement un arrêt de travail ou un traitement thérapeutique dans l’année même).

Le critère de comptabilité administrative des « statistiques technologiques », appelé « MP en 1er règlement », conduit ainsi à occulter les données relatives à un quart des victimes reconnues.

Dans les chapitres suivant, nous serons cependant contraints de prendre en compte ces statistiques technologiques, car ce sont les seules qui fournissent toutes les données sur les maladies reconnues.

Tableau 6

Écart entre les deux dénombrements de maladies professionnelles.

Variations between the two counts of occupational diseases.

6.3 Les écarts de dénombrement relatifs aux cancers reconnus au titre des tableaux

Nous allons examiner le cas des cancers reconnus au titre des tableaux de MP afin d’évaluer l’impact des modes de comptabilité sur ce type d’atteintes. Cette comparaison est limitée dans le temps, car depuis 2007, il n’y a plus de données annuelles publiées se fondant sur les statistiques trimestrielles.

Le tableau 7 montre que le nombre de cancers reconnus en 2000–2007, estimé suivant les statistiques technologiques, sous-évalue en moyenne de 27,1 % le nombre réel des cancers reconnus. Ainsi, un cancer sur quatre disparaît des statistiques.

Tableau 7

Écarts entre les nombres annuels de cancers reconnus, suivant les types de statistiques.

Variations between the annual numbers of recognized cancers, according to the types of statistics.

6.4 Le cas des cancers radioinduits reconnus

Le regroupement des données de l’INRS (1995 à 2005) et de la CNAMTS (2004–2013) permet d’estimer l’importance de la sous-évaluation des cancers professionnels radioinduits. Le tableau 8 montre, pour les 19 années pour lesquelles nous disposons des « statistiques trimestrielles » détaillées (1995–2013), l’importance de la sous-évaluation opérée par les « statistiques annuelles » dites « technologiques ».

Sur 19 années (1995–2013), les bilans globaux, par syndrome, donnent les résultats suivants :

  • cancers broncho-pulmonaires : 203 reconnus, soit 27,6 % de plus, selon les statistiques trimestrielles que les statistiques annuelles ;

  • leucémies : 190 reconnus, soit 30,5 % de plus ;

  • sarcomes osseux : 26 reconnus, soit 50,0 % de plus ;

  • total cancers : 419 reconnus, soit 30,3 % de plus que les statistiques annuelles, et 22,1cancers/an reconnus au lieu 15,4/an.

Pour la période 1995–2013, les statistiques annuelles, dites technologiques, ne représentent que 69,7 % de la totalité des cancers réellement reconnus, sera 7 cas de cancer sur 10.

Tableau 8

Écarts entre les différentes données de la CNAMTS relatives aux cancers radioinduits (tableau MP N°6 du « Régime général »).

Variations between the different CNAMTS data concerning radio-induced cancers (board OD N°6 of the “General Regime”).

6.5 Le nombre de décès en lien avec les maladies radioinduites reconnues

Le nombre de décès annuel, figurant dans les statistiques de la CNAMTS, n’est que partiel, et ceci pour trois raisons :

  • pour une MP reconnue, si une caisse primaire (CPAM) estime que le décès de la victime n’est pas en lien direct avec l’affection, ce décès n’est pas comptabilisé ;

  • seuls les décès qui surviennent dans l’année calendaire où la MP est reconnue, sont comptabilisés, et pas ceux relatifs aux MP reconnues les années précédentes. Ainsi, la victime reconnue l’an dernier mais qui décède cette année, n’est pas comptée dans les décès ;

  • les cas pris en compte sont uniquement ceux pour lesquels le décès est intervenu avant consolidation, c’est-à-dire avant fixation d’un taux d’incapacité permanente.

Ces critères administratifs restrictifs conduisent à une sous-évaluation du nombre réel des décès. S’agissant de la mortalité associée aux maladies radioinduites, une publication de la CNAMTS fournit quelques données : la fraction des décès survenus l’année où la MP était reconnue varie de 0 % à 70 % de l’ensemble réel des décès survenus dans l’année (34 % en moyenne) (Tab. 9).

Ainsi, le nombre annuel de décès relatif aux maladies radioinduites, retenus pour la période 2003–2010, ne représente en moyenne qu’environ 1/3 des décès réellement survenus dans l’année considérée.

Tableau 9

Part des décès imputés l’année de leur survenance (tableau MP n°6).

Part of deaths imputed in the year of their occurrence (board OD N°6).

6.6 Le taux de reconnaissance des maladies professionnelles radioinduites

Certaines publications fournissent le nombre de demandes annuelles de prise en charge d’une affection au titre des maladies professionnelles, donnée qui permet de calculer la fraction des MP reconnues. Pour 2004–2013, et pour l’ensemble des maladies radioinduites (tableau MP n°6), 364 demandes de prise en charge ont été présentées, 258 ont été reconnues (dont 246 cancers) et 106 rejetées (dont 61 cancers), soit un taux moyen de reconnaissance de 70,9 % (80,1 % pour les seuls cancers).

L’analyse des 87 MP radioinduites déclarées en « Île-de-France » pour 1985–1995 (Dray, 1999) montre que sur les 78 cas qui relevaient de maladies inscrites au tableau, 68 cas ont été reconnus, soit un taux de reconnaissance de 87,2 %. Parmi les 68 MP reconnues, 49 étaient des cancers (72,1 %). Un seul cas de cancer a été reconnu en 1995 (thrombocytémie) au titre de l’alinéa 4 sur les 9 affections soumises au CRRMP de l’Île-de-France pour la période 1985–1995.

7 L’importance des cancers professionnels

Au cours des années 2006–2015, les cancers professionnels survenus chez les salariés du secteur privé (18,357 millions en moyenne pour 2010–2015) qui relèvent du « Régime général », ont été, comme le montre le tableau 10, largement dominés (84,8 %) par ceux provoqués par l’exposition à l’amiante. Parmi les cancers « hors-amiante », les cancers radioinduits viennent en 5e position après ceux provoqués par les poussières de bois, la houille, les amines aromatiques et le benzène.

Pour la période 2006–2015, les cancers reconnus au titre du tableau 6 (17,5/an) représentent en moyenne 1,2 % des cancers reconnus pour l’ensemble de tableaux et 6,6 % des cancers « hors-amiante ».

L’incidence annuelle des cancers professionnels (0,967.10−4), reconnus chez les salariés du Régime général, est pratiquement égale à 1 pour 10 000. Si l’on tente d’évaluer cette incidence pour les seuls travailleurs exposés aux rayonnements ionisants (330 458 en moyenne pour 2006–2015), des difficultés se présentent car il faut connaître, parmi cette population exposée, le nombre des seuls salariés relevant du Régime général.

L’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) observe que les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants se répartissent en cinq groupes distincts et inégaux (IRSN, 2016). Ces bilans, qui permettent de chiffrer l’importance de ces différentes populations exposées, montrent que ce sont les personnels qui exercent des activités médicales et vétérinaires qui constituent la plus grande population exposée (62,4 %). Ce sont aussi les travailleurs, qui en grande majorité, ne relèvent pas du Régime général. Les personnels des industries nucléaires et non-nucléaires, qui ne représentent que 31,6 % de l’ensemble de la population professionnellement exposée, totalisent 67,9 % de la dose collective de l’ensemble des travailleurs exposés.

En supposant que les salariés du Régime général exposés sont ceux qui n’exercent pas d’activité médicale, leur risque moyen d’induction de cancer pour 2006–2015 est égal à 1,41 pour 10 000.

Tableau 10

Évolution du nombre de cancers reconnus au titre des tableaux, selon les statistiques annuelles.

Evolution of the number of recognized cancers according to the boards, according to the annual statistics.

7.1 Caractéristiques particulières des cancers radioinduits

De 2001 à 2009, l’évolution de l’ensemble des maladies professionnelles reconnues a été plus rapide pour les femmes (Chappert, 2017), mais de 2008 à 2015 les nombres de MP sont proches de l’égalité. Au niveau d’un tableau, le peu de données publiées rend ces comparaisons difficiles.

Nous allons donner quelques indicateurs pour les cancers radioinduits, en moyenne sur 3 années (2001, 2005 et 2006) (CNAMTS 2003, 2006, 2007) :

  • les cancers reconnus concernent 14,8 % de femmes et 85,2 % d’hommes ;

  • pour l’ensemble des cancers reconnus, 92 % des victimes avaient été exposés plus de 10 ans aux risques et 5 % entre 5 et 10 ans, dans le cas des MP radioinduites, 85 % des victimes ont été exposés plus de 10 ans et 8 % entre 5 et 10 ans ;

  • l’âge à la reconnaissance des cancers radioinduits concerne 42,6 % des 50 à 59 ans, 26,2 % de 40 à 49 ans, 13,1 % des 60 à 64 ans, 13,1 % des 65 ans et plus et 4,9 % des 35 à 39 ans ;

  • dans la « grille standard » des professions, utilisée par la CNAM, les cancers radioinduits reconnus concernent : 32,8 % d’artisans, 29,5 % de spécialistes des sciences, 24,6 % de professions intermédiaires, 4,9 % de personnel de service, 4,9 % d’employés non qualifiés et 3,3 % de conducteurs.

8 Les apports du système complémentaire

Depuis 1994, le « système complémentaire » a permis de reconnaître un nombre croissant de maladies professionnelles pour lesquelles les victimes ne répondaient pas à l’ensemble des critères requis (article L.461-1-3e alinéa) ainsi que des maladies non encore incluses dans un tableau de MP (4e alinéa), dont 14,8 % sont des cancers (Tab. 11).

Si les maladies reconnues au titre de l’alinéa 3 semblent se stabiliser, les reconnaissances faites au titre de l’alinéa 4 évoluent toujours en croissant. Pour 2005–2014, il y a eu en moyenne 48 508 maladies en « 1er règlement » reconnues annuellement. Parmi ces cas, 5651 ont été reconnues au titre de l’alinéa 3 (11,65 % de l’ensemble des reconnaissances) et 1728 de ces affections étaient des cancers. Les maladies professionnelles reconnues au titre de l’alinéa 4 ne rajoutent en moyenne aux 48 508 MP/an que 260 reconnaissances annuelles (0,54 %) dont 41 atteintes cancéreuses. Pour les maladies radioinduites, le nombre des MP reconnues au titre du 4e alinéa varie de 0 à 4/an (voir les données partielles en Tab. 4).

Tableau 11

Évolution du nombre de MP reconnues au titre des alinéas 3 et 4.

Evolution of the number of ODs recognized under paragraphs 3 and 4.

9 Conclusions

  • Le taux de reconnaissance des maladies professionnelles radioinduites est voisin de trois dossiers sur quatre. Il est de deux sur trois pour l’ensemble des 114 tableaux existants.

  • Le taux de reconnaissance des cancers radioinduits est en moyenne, de 8 cas sur 10 demandes de prise en charge.

  • L’évaluation des maladies professionnelles radioinduites reconnues nécessite l’examen préalable des définitions administratives (non intuitives) des termes utilisés dans les statistiques de la CNAMTS. Il découle notamment de ces définitions que les données « annuelles » (dites technologiques), ne sont pas égales à la somme des données des quatre statistiques trimestrielles.

  • Les statistiques « annuelles », qui sont les seules données détaillées publiées, ne portent en moyenne que sur les 3/4 des maladies réellement reconnues, le dernier quart reste inconnu. Ces restrictions concernent également l’ensemble des cancers reconnus. Un quart d’entre-deux échappe à l’analyse.

  • En termes de bilans, fondés sur les statistiques annuelles de la CNAMTS, il y a eu en moyenne 19,7 maladies radioinduites reconnues par an, au cours des 60 années étudiées (1956–2015). À partir de 1968, nous pouvons évaluer à 7,0 cas annuels moyen le nombre de leucémies reconnues en 48 ans.

Pour les 22 dernières années, pour lesquelles toutes les affections étaient renseignées (1994–2015), le nombre moyen de maladies radioinduites reconnues est égal à 22,2/an, parmi lesquelles sept cas sur dix étaient des cancers radioinduits.

Avec en moyenne 7,4 leucémies/an et 7,3 cancers broncho-pulmonaires/an, ces deux atteintes dominent très largement parmi les 15,3 cancers radioinduits reconnus annuellement, avec 0,7 sarcome osseux par an.

  • Suivant les statistiques les plus complètes (statistiques trimestrielles), disponibles pour la période 2004–2013, il y a eu en moyenne 22,1 cancers radioinduits par an reconnus alors que les données « annuelles » publiées (statistiques technologiques), les seules à être détaillées, ne portent pour cette période que sur 15,4 cancers reconnus par an (69,7 %).

  • Il serait utile que la CNAMTS fournisse des statistiques détaillées portant sur l’ensemble des maladies professionnelles reconnues, sans aucune exclusion, et publie dans le cas des maladies reconnues « Hors-tableau », le nom des toxiques qui ont provoqué l’affection. Cette restriction réduit les possibilités d’analyse et d’usage des données publiées, tant par les chercheurs, les préventeurs, que par les victimes.

Références

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Citation de l’article : Zerbib JC. 2018. Les maladies professionnelles radioinduites reconnues en France : bilan et évolutions depuis 1956. Radioprotection 53(1): 51–60

Liste des tableaux

Tableau 1

Évolution du nombre de MP reconnues au titre du tableau 6, de 1956 à 1967.

Evolution of the number of OD recognized in board N°6, from 1956 to 1967.

Tableau 2

Évolution du nombre de MP du tableau 6 de 1968 à 1993.

Evolution of the number of OD from board N°6 from 1968 to 1993.

Tableau 3

Évolution du nombre de cancers reconnus au tableau 6 de 1994 à 2015.

Evolution of the number of cancers recognized in board N°6 from 1994 to 2015.

Tableau 4

« Avis favorables » émis par les CRRMP au titre de l’alinéa 4, pour des maladies radioinduites, de 1995 à 2007.

“Favorable judgment” issued by CRRMPs under paragraph 4, for radio-induced diseases, from 1995 to 2007.

Tableau 5

Évolution du nombre de MP et de victimes reconnues pour l’ensemble des tableaux.

Evolution of the number of MP and victims recognized for all the tables.

Tableau 6

Écart entre les deux dénombrements de maladies professionnelles.

Variations between the two counts of occupational diseases.

Tableau 7

Écarts entre les nombres annuels de cancers reconnus, suivant les types de statistiques.

Variations between the annual numbers of recognized cancers, according to the types of statistics.

Tableau 8

Écarts entre les différentes données de la CNAMTS relatives aux cancers radioinduits (tableau MP N°6 du « Régime général »).

Variations between the different CNAMTS data concerning radio-induced cancers (board OD N°6 of the “General Regime”).

Tableau 9

Part des décès imputés l’année de leur survenance (tableau MP n°6).

Part of deaths imputed in the year of their occurrence (board OD N°6).

Tableau 10

Évolution du nombre de cancers reconnus au titre des tableaux, selon les statistiques annuelles.

Evolution of the number of recognized cancers according to the boards, according to the annual statistics.

Tableau 11

Évolution du nombre de MP reconnues au titre des alinéas 3 et 4.

Evolution of the number of ODs recognized under paragraphs 3 and 4.

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