Issue |
Radioprotection
Volume 53, Number 4, October-December 2018
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Page(s) | 249 - 254 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/radiopro/2018035 | |
Published online | 15 November 2018 |
Article
Évaluation de stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs au regard des critères MTD « meilleure technique disponible »
Assessment of low radioactive waste management strategies based on BREF “Best REFerence” criteria
Orano,
1 place Jean Millier,
92400
Courbevoie, France
* Auteur de correspondance : catherine.mercat@orano.group
Reçu :
1
Juin
2018
Accepté :
17
Octobre
2018
L’objectif de cet article est d’exposer la manière dont les critères de la « meilleure technique disponible » (MTD) peuvent être utilisés de façon opérationnelle pour évaluer différentes stratégies de gestion de déchets radioactifs. Les critères MTD sont issus de la directive européenne dite IPPC (prévention et contrôle intégrée de la pollution) de 1996 et s’appliquent réglementairement aux industries européennes les plus polluantes. Douze critères ont ainsi été transposés dans la réglementation française relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Un exemple d’application de ces 12 critères au cas de la gestion de déchets faiblement radioactifs qui seraient stockés sur site versus envoyés à l’Andra est traité afin d’illustrer la méthode, les résultats et les limites de l’exercice. L’interprétation qui se dégage de l’application de ces critères conforte la position de gestion des déchets faiblement radioactifs sur les sites de production, stratégie qui apparaît comme mieux notée au regard de ses performances environnementales.
Abstract
The purpose of this paper is to describe how BREF criteria can be used in an operational manner to evaluate different radioactive waste management strategies. The BREF criteria are derived from the European IPPC Directive (prevention and integrated pollution control) of 1996 and are applicable to the most polluting European industries. Twelve criteria were thus transposed into the French regulations on industrial sites officially classified for the protection of the environment (ICPE). An example of application of these 12 criteria to the case of low radioactive wastes is treated to illustrate the method, the results and the limits of the exercise. The results from the application of these criteria reinforce the position for the in situ management of these low radioactive wastes, which appears better rated in terms of environmental efficiency.
Mots clés : gestion des déchets / MTD (meilleure technique disponible) / analyse multicritère
Key words: waste management / BAT (Best Available Techniques) / multicriteria analysis
© EDP Sciences 2018
1 Introduction
Au début des années 1990 (loi Bataille), la France a fait le choix du stockage industriel comme solution pour la gestion durable et sûre des déchets radioactifs et a mandaté l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) pour gérer l’ensemble des déchets radioactifs français, dont les déchets de très faible activité.
Les déchets de très faible activité (TFA) proviennent essentiellement du fonctionnement et du démantèlement des installations nucléaires, ainsi que des industries conventionnelles utilisant des matériaux naturellement radioactifs. Leur niveau de radioactivité est en général inférieur à 100 Bq/g ; ils peuvent contenir des radionucléides à vie courte et/ou à vie longue.
Depuis 2003, les déchets TFA sont stockés au centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES) exploité par l’Andra dans le département de l’Aube (Morvilliers) qui constitue donc la filière dite agréée pour le stockage de ces déchets.
Fin 2016, les déchets TFA représentaient 31,3 % du volume total des déchets radioactifs français déjà produit (soit 482 000 m3) pour 0,0001 % de la radioactivité totale des déchets radioactifs français (Andra, 2018). Les prévisions de volume annoncent 650 000 m3 à fin 2020, plus de 1 million de m3 à fin 2030 et plus de 2 millions de m3 à terminaison (selon les décisions actuelles de fonctionnement des installations nucléaires françaises) alors que la capacité de stockage existante est seulement de 650 000 m3. Il y a donc de forts enjeux pour optimiser la gestion de ces volumes de déchets et rechercher des solutions alternatives (IRSN, 2016).
Dans le contexte actuel de prévision de larges volumes de déchets TFA à venir, on peut donc légitimement interroger la question de l’optimisation de la gestion de ces déchets de faible activité. Est-ce que la réponse française du regroupement sur un site reste la meilleure réponse ? D’autres alternatives (comme par exemple, le stockage sur des sites nucléaires) ne pourraient-elles pas conduire à développer des réponses aussi sûres et durables ?
Cet article vise à apporter un éclairage à cette question en évaluant de façon comparée deux stratégies de gestion, à savoir « le maintien des déchets faiblement radioactifs en stockage sur site » et « l’envoi des déchets faiblement radioactifs vers la filière agréée » avec les différents critères de la méthodologie dite MTD « meilleure technique disponible ».
Il s’agit ainsi d’objectiver, par une approche la plus rigoureuse possible, les arguments de décision pour la stratégie future de gestion de ces déchets faiblement radioactifs. En ce sens, la méthodologie MTD peut être utilisée comme outil d’aide à la décision et à l’information des parties prenantes puisque le résultat de cette étude peut contribuer à alimenter le débat public en vue de l’élaboration du prochain PNGMDR (Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs).
2 Description du référentiel ICPE rubrique 27.97
La rubrique ICPE 27.97 du référentiel des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement vise à encadrer la « gestion de déchets radioactifs mis en œuvre dans un établissement industriel ou commercial ». Les installations ICPE 27.97 sont réglementées par l’arrêté du 23 juin 2015 qui impose de nombreuses règles techniques en vue de prévenir et de réduire les risques d’accident et de pollution et donc de garantir la sûreté de ce mode de gestion.
Ces règles techniques qui traitent de la prévention de la pollution atmosphérique, protection de la ressource en eaux et des milieux aquatiques, des déchets, de la prévention des risques technologiques, de la surveillance des installations et de leurs effets, permettent de couvrir l’ensemble des enjeux de protection de l’environnement.
Le CIRES relève de la rubrique ICPE 27.97. Mettre en place sur les sites nucléaires des installations de stockage relevant de cette rubrique pourrait permettre de démultiplier les surfaces de stockage tout en garantissant un niveau de protection équivalent.
Dans l’évaluation des deux stratégies de stockage des déchets TFA, nous avons considéré que la solution de stockage qui serait mise en place sur site répondrait aux exigences de la rubrique 27.97, notamment au travers de la démonstration de l’absence d’impact significatif (réalisation d’une étude d’impact mise à jour tous les 10 ans) et de l’acceptabilité des risques résiduels (réalisation d’une étude de danger mise à jour tous les 10 ans).
3 Méthode d’évaluation de la performance des stratégies de gestion selon les critères MTD
Le concept de MTD « meilleure technique disponible » a été défini par l’article 2 de la directive européenne IPPC no 96/61EC (prévention et contrôle intégré de la pollution) comme étant le stade de développement le plus efficace et avancé des activités industrielles et de leurs modes d’exploitation. À ce stade, il est considéré que les techniques visées sont compatibles avec les valeurs limites d’émission fixées par la réglementation, seuils visant à éviter et, lorsque cela s’avère impossible, à réduire de manière générale les émissions et l’impact sur l’environnement dans son ensemble. La définition un peu floue est éclairée par le sens de chaque mot constituant le concept de MTD.
Les termes « meilleure », « technique » et « disponible » ont les significations suivantes :
-
« technique » : on entend aussi bien les techniques employées que la manière dont l’installation est conçue, construite, entretenue, exploitée et mise à l’arrêt ;
-
« disponible » : on entend les techniques mises au point sur une échelle permettant de les appliquer dans le contexte du secteur industriel concerné, dans des conditions économiquement et techniquement viables, en prenant en considération les coûts et les avantages, que ces techniques soient utilisées ou produites ou non sur le territoire de l’État membre intéressé ;
-
« meilleure » : on entend les techniques les plus efficaces pour atteindre un niveau général élevé de protection de l’environnement dans son ensemble. À noter que le terme « meilleur » est très controversé. Il suscite automatiquement une comparaison entre méthodes dont la rigueur et la pérennité dans le temps est difficile à garantir, notamment du fait de l’évolution des savoir-faire technologiques.
La méthodologie MTD est entrée dans la boîte à outil du management des risques industriels grâce à la directive IPCC qui en a rendu l’application réglementaire en 1996 pour les industries considérées comme les plus polluantes (industries énergétiques, chimiques, minérales, de transformation des métaux…). Le concept a ensuite été repris et renforcé par la Directive IED (Industrial Emission Directive) qui a abrogé la directive IPCC en 2010. La méthodologie MTD a pour objectif de permettre aux industriels de mieux connaître et maîtriser leur outil de production. Très concrètement, par l’utilisation de cette méthodologie, l’industriel est en mesure de mettre en évidence ses points forts et sa conformité aux MTD (établie préalablement de façon plus ou moins générique selon les secteurs d’activité), et les points sur lesquels il doit porter son attention en vue de la conformité aux MTD. Ces MTD sont regroupées par secteur d’activité dans des guides techniques élaborés au niveau européen (appelés BREFs : Best REFerence Documents). La méthodologie apporte ainsi aux industriels les éléments nécessaires à la planification et à la hiérarchisation des moyens à mettre en œuvre pour faire évoluer l’entreprise vers une réduction des impacts environnementaux et ce, en progressant dans une démarche d’amélioration continue.
Cette méthodologie offre par ailleurs un support de négociation aux acteurs permettant plus facilement d’aboutir à des consensus ou au moins à des compromis et/ou de mettre en évidence les points d’opposition de vues.
La définition très globale des MTD de l’article 2 de la directive européenne IPPC est complétée par douze considérations appelées aussi critères, affichés dans l’annexe IV de la directive IPPC et repris dans la réglementation française relative aux ICPE (arrêté du 2 mai 2013 modifiant l’arrêté du 29 juin 2004 relatif au bilan de fonctionnement prévu par l’article R.512-45 du Code de l’environnement) permettant de déterminer les meilleures techniques disponibles. Il s’agit des critères suivants :
-
l’utilisation de techniques produisant peu de déchets ;
-
l’utilisation de substances moins dangereuses ;
-
le développement de techniques de récupération et de recyclage des substances émises et utilisées dans le procédé et des déchets, le cas échéant ;
-
l’utilisation de procédés, équipements ou modes d’exploitation qui ont été expérimentés avec succès à une échelle industrielle ;
-
les progrès techniques et l’évolution des connaissances scientifiques ;
-
la nature, les effets et le volume des émissions concernées ;
-
la date de mise en service des installations nouvelles ou existantes ;
-
la durée nécessaire à la mise en place d’une meilleure technique disponible ;
-
la consommation et la nature des matières premières utilisées dans le procédé et l’efficacité énergétique ;
-
la nécessité de prévenir ou de réduire à un minimum l’impact global des émissions et des risques pour l’environnement ;
-
la nécessité de prévenir les accidents et d’en réduire les conséquences sur l’environnement.
Dans le domaine de la gestion des déchets radioactifs, un critère complémentaire a été introduit dans les pratiques des exploitants nucléaires français, sur l’initiative d’un groupe de travail inter-exploitants (Guide inter-exploitants CEA-AREVA-EDF, 2013) pour tenir compte de l’impact du procédé sur l’exutoire, à la fois en termes de disponibilité et de préservation des capacités de stockage, ce qui in fine conduit à considérer 12 critères d’évaluation.
4 Application de la méthode MTD aux deux stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs et résultats
L’exercice réalisé a donc consisté à évaluer deux stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs (stratégie 1 : stockage sur site sous statut d’ICPE 27.97, à créer le cas échéant ; stratégie 2 : envoi des déchets au CIRES de l’Andra) au regard de ces 12 critères dans une analyse dite multicritères. L’évaluation a été réalisée en considérant, pour chacune des deux stratégies, la cotation de chacun des critères selon des appréciations qui vont de « très favorable » à « très défavorable ».
L’analyse multicritère est un outil connu dans le domaine de l’aide à la décision (Roy, 1985), développé notamment pour résoudre des problèmes multicritères complexes qui incluent des aspects qualitatifs et/ou quantitatifs dans un processus décisionnel.
Dans bon nombre de situations, la capacité à communiquer et à expliquer les décisions et la manière dont elles ont été prises peut être aussi importante que les décisions elles-mêmes. En permettant d’individualiser les éléments de décision et de retracer le cheminement du processus décisionnel, l’analyse multicritère réalisée permet ainsi de mettre en évidence les arguments industriels sous-tendant le choix d’une stratégie de gestion.
4.1 Critère 1
La cotation du premier critère concernant la production de déchets a été évaluée comme globalement neutre vis-à-vis des deux stratégies. En effet, dans les deux cas, le volume de déchets doit être géré. Le transport des déchets TFA est susceptible d’induire un « sur-emballage » des déchets par rapport à une solution de stockage sur site mais ce volume serait certainement faible par rapport aux volumes de déchets et au conditionnement à mettre en place pour les deux stratégies.
4.2 Critère 2
La cotation du second critère (utilisation de substance dangereuse) n’est pas apparue comme discriminante car aucun produit dangereux n’est mis en œuvre dans l’exploitation dans une ICPE de stockage et aucun n’est non plus utilisé dans le procédé industriel de préparation et d’envoi de déchets TFA vers l’Andra (cotation favorable dans les deux cas).
4.3 Critère 3
La cotation du troisième critère (récupération et recyclage) est neutre si l’on considère le recyclage des déchets car dans les deux cas, une minimisation des volumes de déchets est recherchée et donc tout ce qui est récupérable/recyclable le sera. Par contre, si l’on considère le recyclage des surfaces d’occupation des sites nucléaires de la production vers le stockage, ce critère est plus favorable à la stratégie de stockage sur site car il est notoire que ces surfaces seront difficilement libérables pour d’autres activités hors nucléaires ou avec de lourdes contraintes de démonstration d’assainissement complet.
4.4 Critère 4
Le retour d’expérience en matière d’accidentologie des installations de gestion des déchets (MEEM, 2016) montre que le secteur des déchets arrive en 3e position dans le classement des activités les plus accidentogènes mais seulement à la 12e place en ce qui concerne les conséquences graves évaluées selon l’échelle ARIA. Par ailleurs, les activités de traitement impactent fortement la statistique d’accidents de ce secteur par rapport aux autres types d’activités (tri, transfert, regroupement, stockage). On peut donc considérer que le mode d’exploitation industriel du stockage des déchets selon le référentiel réglementaire des ICPE est maîtrisé, ce qui a conduit à proposer la cotation comme favorable pour les deux solutions de stockage.
4.5 Critère 5
Les deux options sont considérées comme équivalentes au titre du critère 5 (progrès technique et évolutions des connaissances scientifiques) car les techniques à déployer en termes de conditionnement et de confinement des déchets sont classiques. Il n’y a pas d’innovation technologique envisagée.
4.6 Critère 6
En ce qui concerne le critère 6 (nature, effets et volumes des émissions), quelques émissions de gaz d’échappement des engins utilisés pour les opérations de création de la structure de stockage sur site sont à prévoir ce qui a conduit à la cotation (légèrement) défavorable de ce critère en cas de maintien sur site des déchets. Néanmoins, la principale source d’émission est liée aux gaz d’échappement lors des transports routiers des déchets vers le CIRES. En effet, les deux principaux sites industriels nucléaires d’Orano sont situés respectivement à 606 km (site de La Hague dans le Cotentin) et à 518 km (site de Tricastin-Pierrelatte dans la Drôme) du CIRES, selon les itinéraires les plus rapides proposés par mappy.fr. Si l’on considère que le facteur d’émission d’un transport spécial est d’environ 1,3 kg de CO2 par véhicule et par km (selon la base Impacts® de l’ADEME), chaque trajet conduit à une émission respectivement de 0,79 t de CO2 pour le site de La Hague et 0,67 t de CO2 pour le site de Tricastin-Pierrelatte. La multiplication de ces émissions par le flux de transports nécessaires pour évacuer les milliers de m3 de déchets TFA prévisionnels a conduit à la cotation très défavorable de ce critère.
4.7 Critère 7
Le critère 7 (date de mise en service des installations) est favorable au CIRES puisque cette installation est déjà mise en service.
4.8 Critère 8
Le critère 8 (durée nécessaire à la mise en place de la méthode) est aujourd’hui favorable à l’envoi au CIRES pour les déchets TFA qui dispose déjà d’un dossier d’acceptation. Il peut, par contre, être défavorable à de nouvelles catégories de déchets ou à des déchets actuellement entreposés sur les sites mais pour lesquelles la filière n’est pas ouverte car les délais d’acceptation par l’Andra peuvent être longs (plusieurs années) et surtout la capacité d’envoi en volume des déchets vers l’Andra est limitée.
4.9 Critère 9
Le critère 9 (consommation de matières premières/efficacité énergétique) interroge un deuxième aspect de l’impact environnemental des transports. Le critère 6 évalue les émissions polluantes vers l’environnement. Le critère 9 évalue le caractère renouvelable ou non des ressources naturelles consommées. Ce critère est lui aussi défavorable à l’option d’envoi dans la filière agréée car le coût énergétique des opérations de conditionnement puis de transport vers le centre du CIRES est élevé. En effet, si l’on considère qu’un transport spécial consomme environ 40 litres de gasoil aux 100 km (selon la base carbone de l’ADEME), chaque trajet des principaux sites industriels nucléaires du groupe Orano conduit à consommer de 200 à 250 l de gasoil.
4.10 Critère 10
La cotation du critère 10 (nécessité de prévenir ou de réduire à un minimum global ses émissions et les risques sur l’environnement) est plus défavorable à l’envoi des déchets vers le CIRES car le statut ICPE 29.97 garantit que l’installation sur site serait sans impact significatif sur l’environnement (exigence de l’article 17 de l’arrêté du 23 juin 2015 « des règles de construction, d’équipement et d’exploitation des installations sont mises en place afin de garantir le confinement des substances ou déchets radioactifs. Lorsqu’il existe un risque de dissémination de substances radioactives, il existe toujours entre l’environnement et les substances ou déchets radioactifs au moins un dispositif passif de confinement ») alors que le transport des déchets induit des émissions polluantes comme évoquées pour les critères 6 et 9.
4.11 Critère 11
D’un point de vue du risque accidentel (critère 11), l’étude des dangers réalisée dans le cadre de la demande d’autorisation de l’ICPE 27.97 montrerait la maîtrise des risques accidentels en cas de stockage sur site des déchets. Notamment, la disponibilité des moyens d’intervention et de secours en cas d’incendie est garantie par le fonctionnement de l’ensemble du site nucléaire ; l’incendie étant considéré comme le risque majeur pour les installations de stockage de déchets (MEEM, 2016). Le critère est donc favorable aux deux stratégies de gestion.
4.12 Critère 12
Enfin, du point de vue du critère 12 (disponibilité et préservation des capacités de stockage), le volume de déchets TFA prévisionnels de plus de 2 millions de m3 à envoyer au CIRES (dépassant largement la capacité actuelle du CIRES) rend l’option de stockage sur site très favorable.
Le tableau 1 synthétise l’ensemble des cotations des différents critères et montre que la stratégie de gestion sur site est plutôt meilleure vis-à-vis des critères environnementaux par rapport à l’envoi de déchets vers la filière Andra, notamment vis-à-vis de 2 critères particulièrement discriminants : les émissions polluantes dans l’atmosphère et la préservation des capacités de stockage. Cette application méthodologique permet ainsi d’apporter des éléments concrets dans la réflexion en vue d’une approche graduée de la gestion des déchets (Hoorelbeke, 2018) qui recherche une juste proportionnalité entre la dangerosité des déchets radioactifs et les solutions de gestion à long terme.
Évaluation des stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs selon les critères de la méthodologie MTD.
Assessment of low radioactive waste management strategies according to the BREF criteria.
5 Discussion
La réalisation de l’exercice technique d’évaluation des stratégies au regard des critères MTD a néanmoins montré quelques limites.
À la première lecture, les critères réglementaires ne sont pas faciles d’utilisation et les termes listés ne sont pas homogènes. Pourquoi la considération relative à la limitation de l’impact n’apparaît-elle qu’en 10e position ? Existe-t-il un ordre de priorité ? Doit-on prendre en compte l’ensemble des considérations dans l’analyse des performances ?
Il apparaît de la bibliographie (Cikankowitz, 2013 ; Evrard, 2016) que les critères ont été déterminés à partir d’une succession d’idées provenant des Etats membres. Les critères sont peu clairs à la fois dans leur organisation et leur sémantique et ne répondent pas uniquement à des caractéristiques environnementales. Comment comparer en effet une technique produisant peu de déchets, à un procédé utilisant rationnellement l’énergie ou une technique générant peu d’accidents ? À quelles considérations les procédés doivent-ils répondre en priorité pour être considérés comme MTD en termes de performances environnementales ? Par ailleurs, aucun critère économique (coûts de la stratégie, investissements, coûts d’exploitation…) n’est proposé.
Des auteurs français, Laforest et Bertheas (2004) et De Chefdebien (2001) ont participé à l’analyse de ces critères afin de les rendre plus facilement utilisables dans l’évaluation des performances environnementales des ICPE vis-à-vis des performances des meilleures techniques disponibles. Ces auteurs ont montré que l’ordre de ces éléments ne répond pas à une logique particulière, c’est-à-dire que chaque considération ne répond pas forcément uniquement à un seul objectif ou un seul paramètre ou indicateur. Les difficultés génériques d’utilisation de ces critères sont documentées notamment dans (Laforest, 2008). Des développements complémentaires proposant des critères économiques ont par la suite été ajoutés par la communauté européenne (ZeroPlus, 2009 in Laforest, 2014).
Dans l’exercice d’application réalisé, pour certains critères, comme le volume des déchets, le volume des émissions ou la consommation de matières non renouvelables, la cotation des deux stratégies a pu s’appuyer sur des éléments techniques chiffrés documentés. Pour d’autres (récupération/recyclage ou date de mise en service des installations), la déclinaison a été moins évidente et certains critères apparaissent in fine comme peu discriminants voire peu pertinents en regard de l’objectif visé.
La mise en œuvre de la stratégie 1 de gestion sur site des déchets TFA suppose de plus la création d’une ICPE qui relève d’une autorisation administrative qui n’est pas acquise. Le processus réglementaire d’instruction d’une telle autorisation impliquerait une modification des orientations françaises en matière de gestion des déchets faiblement radioactifs issus des installations nucléaires.
L’élargissement à d’autres critères que ceux de la réglementation est possible car les outils d’analyse multicritère sont bien plus puissants que l’usage présenté ici. Par exemple, des critères qui interrogeraient des dimensions plus sociales (analyse de risque long terme et court terme, acceptabilité de laisser des déchets résiduels sur les sites de production, risque de résurgence médiatisée du sujet, impact vis-à-vis de l’acceptabilité de nouveaux projets…) pourraient être intégrés dans l’évaluation. La cotation des critères par d’autres points de vue que ceux d’experts techniques serait intéressante pour mettre en lumière les points de convergence et ceux de divergences et progresser dans l’obtention de décisions collectives argumentées. Enfin un (ou des) systèmes de pondération des critères les uns par rapport aux autres pourrait être introduit dans l’évaluation afin d’illustrer différentes visions de l’argumentaire par les parties prenantes.
Par ailleurs, d’autres outils, comme par exemple l’analyse Coûts-Bénéfices ou encore l’analyse du cycle de vie (ACV) pourraient être déployés pour illustrer les gains et les inconvénients des différentes dimensions de gestion de cette situation historique (dimensions techniques, économiques et protection de l’environnement).
Toutes ces perspectives d’amélioration qui vont au-delà de l’exercice réglementaire de conformité aux MTD permettraient de tester le niveau de maturité de la solution proposée dans le processus de négociation, voire de co-construction – évoqué par Jeffroy (2018) – avec les parties prenantes.
Enfin, l’exercice d’évaluation vis-à-vis des MTD est à répéter dans le temps car les MTD peuvent évoluer avec l’acquisition de connaissances et l’innovation technologique.
6 Conclusion et perspectives
L’étude réalisée avait pour objectif d’évaluer deux stratégies de gestion des déchets radioactifs de faible activité (« maintien des déchets faiblement radioactif en stockage sur site » et « envoi des déchets faiblement radioactifs vers la filière agréée ») selon les critères de la méthodologie MTD de gestion des déchets. Pour certains critères, la déclinaison s’appuie sur des éléments techniques chiffrés documentés. Pour d’autres, la déclinaison est moins évidente et les critères sont peu discriminants en regard de l’objectif visé. Au final, même si la méthodologie de détermination des MTD dans le domaine de la gestion des déchets n’apparaît pas comme parfaitement adaptée à un objectif de comparaison de stratégies de gestion de déchets, l’interprétation qui se dégage de cette évaluation est que, au regard des critères d’évaluation des meilleurs techniques disponibles, la stratégie de gestion par stockage sur les sites de production est mieux notée au regard de ses performances environnementales que la stratégie d’envoi des déchets vers la filière agréée.
Pour progresser dans l’utilisation de ce type d’outil, un regard élargi sur les critères d’évaluation pourrait être porté afin d’intégrer dans le processus d’évaluation des critères au-delà du domaine technique et un système de cotation qui reflète le point de vue d’acteurs différents des seuls experts techniques. En effet, la pérennité d’une solution de gestion des déchets radioactifs passe nécessairement par l’acceptabilité de la solution technique par les différentes parties et donc la prise en compte de l’ensemble des points de vue des parties prenantes.
In fine, il serait donc utile d’appliquer à des cas existants de déchets TFA les critères de la méthode MTD décrite précédemment afin de vérifier concrètement que le maintien et la gestion sur site des déchets radioactifs de faible activité est globalement plus favorable que leur reprise et leur envoi vers un site de stockage de l’Andra.
Références
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Citation de l’article : Mercat C, Lamouroux C. 2018. Évaluation de stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs au regard des critères MTD « meilleure technique disponible ». Radioprotection 53(4): 249–254
Liste des tableaux
Évaluation des stratégies de gestion des déchets faiblement radioactifs selon les critères de la méthodologie MTD.
Assessment of low radioactive waste management strategies according to the BREF criteria.
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