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Numéro
Radioprotection
Volume 53, Numéro 4, October-December 2018
Page(s) 299 - 302
DOI https://doi.org/10.1051/radiopro/2018040
Publié en ligne 23 novembre 2018

© EDP Sciences 2018

1 La conférence HEIR 2018 en quelques chiffres

La 12e édition de la conférence internationale sur les effets sanitaires de l’incorporation des radionucléides, HEIR 2018, a eu lieu du 8 au 11 octobre 2018 à Fontenay-aux-Roses. Elle a réuni plus de 140 scientifiques, avec plus de 80 communications. Cette série de conférences a commencé en 1974, à Alta (Utah), sous le nom « Biological effects of 224Ra and thorotrast ». De fait, au début des années 1970, les expositions des peintres de cadran lumineux et des patients au throrotrast (produit de contraste pour la radiographie) constituaient les principales expositions conduisant à l’apparition d’effets stochastiques avérés à la suite d’une exposition par contamination interne. Les éditions suivantes ont eu lieu tous les deux à trois ans, avec une alternance entre les États-Unis et l’Europe relativement bien respectée : Neuherberg (Allemagne, 1976), Lisbonne (Portugal, 1977), Lake Geneva (WI, USA, 1981), Neuherberg à nouveau en 1984, Bethesda (Ma, USA, 1988), Heidelberg (Allemagne, 1994), Tokyo (Japon, 1999), encore Neuherberg (2004), Santa Fe (NM, USA, 2009) et enfin Berkeley (CA, USA, 2013). Une caractéristique de ce congrès est qu’il n’est associé à aucune société savante ou association. Il n’y a donc aucun soutien extérieur à l’organisation de cette conférence, qui à chaque fois est organisée par une équipe de recherche du domaine qui souhaite porter la réunion de cette petite communauté scientifique d’étude des contaminations internes. À noter également qu’aucun autre congrès dans le domaine de la radiobiologie ne propose de session spécifique sur la radiotoxicologie, ce qui fait de cette série de conférences HEIR l’un des rares moments possibles de rencontre de cette communauté.

Pour cette édition, le nombre d’inscrits aussi bien que le nombre de résumés soumis sont en très nette augmentation par rapport à l’édition précédente : 71 communications à Berkeley en 2013 à comparer à 84 à Fontenay-aux-Roses en 2018 ; 88 inscrits à Berkeley à comparer à 141 inscrits à Fontenay-aux-Roses. Cette augmentation démontre la dynamique forte de cette communauté scientifique, probablement à mettre en lien avec les préoccupations toujours importantes autour des accidents nucléaires, et de l’accident de Fukushima plus particulièrement. La répartition des soumissions en fonction des pays de provenance (Fig. 1) montre parfaitement que l’intérêt pour le domaine de la contamination interne est largement partagé. Comme souvent dans les congrès, le pays organisateur reste le pays le plus représenté.

La répartition des communications dans les différents thèmes est semblable à celle observée au cours de l’édition de 2013 (Fig. 2). L’évaluation de la dose interne et les effets biologiques des contaminations internes restent les deux thèmes principaux de la conférence, avec les études épidémiologiques qui suivent de près. À eux trois, ces thèmes regroupent plus de 60 % des communications. À noter cependant que pour la première fois, une session a été consacrée à la médecine nucléaire, en partenariat avec la Société française de physique médicale (SFPM). Cette session a permis de constater que les questionnements posés par l’utilisation des radionucléides en médecine nucléaire sont les mêmes que ceux posés par les contaminations internes liées à d’autres activités et que ces deux communautés auraient de nombreux intérêts à se rencontrer plus souvent.

thumbnail Fig. 1

Répartition du nombre de communications soumises en fonction des pays d’origine des auteurs.

Distribution of the number of abstracts submitted according to the country of authors.

thumbnail Fig. 2

Répartition des communications reçues dans les différents thèmes, après évaluation du comité scientifique.

Distribution of abstracts received according to the topics, after the evaluation from the scientific committee.

2 Biocinétique des radionucléides évaluation de dose : un domaine en constante évolution

Il est frappant de constater que la plupart des communications portant sur les thèmes de la biocinétique des radionucléides et sur l’évaluation de dose proposent des analyses (ou des ré-analyses) de plus en plus détaillées de données expérimentales ou d’accidents de contamination. Ceci va dans le sens d’une réduction des incertitudes associées à l’utilisation des modèles biocinétiques de la CIPR et donc, d’une réduction des incertitudes sur l’estimation de la dose interne. On peut ainsi citer les présentations de D. Melo et S. Lamart sur des modèles biocinétiques de l’Américium de plus en plus précis ou encore le travail de A. Melintescu sur le devenir des formes OBT du tritium dans différents modèles biocinétiques selon l’âge. Il faut également citer le travail conséquent réalisé par l’USTUR (U.S. transuranium and uranium registries) qui collecte et analyse les échantillons recueillis auprès de personnes exposées durant leur carrière, que ce soit des échantillons d’urine ou de fèces ou bien des dons d’échantillons post mortem. Cette banque de données a fait l’objet de plusieurs présentations (S. Tolmachev et M. Avtandilashvili) dont une sur la microdistribution des radionucléides dans le système nerveux central et les implications de cette microdistribution sur les estimations de dose pour les études épidémiologiques. À noter également la présentation d’A. Van Der Meeren sur un modèle in vitro permettant d’évaluer la solubilité des particules inhalées, sans recours à l’expérimentation animale, ce qui permet d’affiner les estimations de doses liées à une exposition par inhalation.

Ces évolutions dans les études de biocinétique ont un impact immédiat sur les estimations d’exposition utilisées dans les études épidémiologiques. Ainsi, plusieurs présentations ont proposé une réévaluation des expositions dans différentes études : V. Deffner pour une évaluation des incertitudes de l’exposition des travailleurs de la Cohorte de Wismut ; E. Davesne pour la cohorte des travailleurs du nucléaire ; M.A. Lopez pour un groupe de travailleurs exposés à long terme à de l’uranium enrichi. Ces études ont également un impact sur l’évolution des modèles de la CIPR, comme l’a décrit F. Paquet au cours d’une présentation sur les évolutions récentes des modèles biocinétiques de la CIPR.

Un autre aspect intéressant dans ce domaine est le suivi des modifications de la biocinétique des radionucléides au cours des traitements par chélation et particulièrement par le DTPA, et de l’évaluation de dose qui en résulte. Ainsi, L. Bertelli a présenté un cas de suivi biocinétique du Pu sous chélation par DTPA, et M. Atvandilashvili une étude rétrospective de plusieurs cas de contamination au plutonium traités par Ca-DTPA, sur la base des échantillons de la bio-banque de l’USTUR. Ces études montrent tout l’intérêt des traitements de décorporation pour ces cas d’exposition accidentelle (voir ci-dessous).

3 L’épidémiologie : l’ère des cohortes conjointes et d’une nouvelle statistique ?

De nombreuses études épidémiologiques ont été présentées au cours du congrès. Dans de nombreux cas, ce sont des analyses plus approfondies de cohortes existantes, soit pour définir un risque de cancer spécifique (analyse des sous types de cancers des poumons chez les mineurs de l’Eldorado par L. Zablotska), soit en fonction d’une nouvelle évaluation de l’exposition (risques de cancers autres que poumons dus au radon chez les mineurs d’uranium par N. Fenske ou encore la réévaluation des risques de cancers des poumons, du foie et des os chez les travailleurs exposés au Pu238 par M. Sokholnikov). À noter une étude portant sur une pathologie non cancéreuse, la maladie chronique obstructive des poumons mise en évidence dans une cohorte de travailleurs de Mayak, en lien avec une exposition aux émetteurs alpha avec une dose efficace supérieure à 0,1 Gy. Par contre, cette pathologie n’est pas associée à une exposition à une irradiation externe. Cependant, la plupart de ces études portent sur des cohortes anciennes pour lesquelles il y a parfois un manque d’information sur les facteurs confondants et surtout des incertitudes importantes sur l’exposition.

L’avenir des études épidémiologiques sur les effets de la contamination interne semble passer par la création de cohortes conjointes, telle que la cohorte PUMA (pooled uranium miners analysis, présentée par E. Rage), qui rassemblera trois cohortes européennes (cohortes française, allemande et tchèque), deux cohortes canadiennes (Edorado et Ontario) et deux cohortes américaines (les cohortes du plateau du Colorado et de New Mexico). Cette analyse conjointe a plusieurs avantages dont le premier est l’augmentation de la puissance statistique de l’analyse. Le second avantage est la possibilité d’analyser plus en détails l’apparition des pathologies en lien avec une exposition particulière, au radon dans le cas de la cohorte PUMA. Cette cohorte rassemble plus de 120 000 mineurs pour plus de 4,3 millions de personnes-années, ce qui en fait l’une des cohortes les plus larges pour l’étude des contaminations internes. Un autre axe d’évolution des études épidémiologiques passe par une analyse statistique bayésienne utilisant des « a priori » fondé sur des résultats expérimentaux obtenus chez l’animal ou chez l’Homme. Un tel exemple a été présenté par D. Richardson pour l’étude de la cohorte de la Savanah River et aboutit à un rapport de 4 entre l’excès de risque dû à une irradiation gamma et l’excès de risque dû à une exposition au tritium, ce qui est cohérent avec les estimations obtenues dans des études expérimentales. Cette approche statistique bayésienne pourrait permettre une meilleure intégration des études expérimentales et des études épidémiologiques.

4 Les effets biologiques : un domaine foisonnant

Les effets biologiques de l’incorporation des radionucléides restent le cœur du sujet de cette série de conférences depuis ses origines. Cependant, le panorama des études s’est très élargi. De fait, si à l’origine, la conférence était centrée sur les effets biologiques du thorium, aujourd’hui, de nombreux radionucléides sont l’objet d’études, avec cependant, un intérêt prépondérant pour ceux rencontrés dans le milieu du travail (uranium, plutonium, américium, radon) et pour ceux rencontrés à la suite d’un accident nucléaire (tritium, iodes, césium et strontium). De plus, les méthodes d’évaluation des effets biologiques ont énormément évolué, avec l’apparition de nouvelles techniques d’analyse de masse (« omiques », biologie des systèmes), permettant une analyse de plus en plus détaillée et avec une sensibilité de plus en plus grande des effets de l’incorporation des radionucléides. Ainsi, l’étude de G. Carle a détaillé les mécanismes d’action de l’uranium naturel sur les cellules osseuses, ostéoblastes, ostéoclastes et ostéocytes, et les conséquences sur la physiologie osseuse. P. Ostheim a présenté une analyse de cellules sanguines de patients traités par Xofigo (radium 223 dichloride) afin de rechercher une signature génétique sur les ARN messagers et sur les ARN non codants de ce traitement par radium 223, l’objectif étant ensuite de pouvoir détecter une contamination accidentelle au radium 223.

Il faut également noter plusieurs présentations autour de l’iode. Deux présentations (D. Cohen et D. Lebsir) ont étudié les effets potentiels de l’administration répétée d’iode stable sur la physiologie de la thyroïde. Cette répétition d’administration d’iode stable devrait permettre de protéger plus longtemps la population d’une exposition aux iodes radioactifs lors de rejets répétés. Cependant, cette administration répétée va modifier la physiologie de la thyroïde, via le symporteur sodium/iode comme montré par D. Cohen dans une analyse de biologie des systèmes. D. Lebsir a également montré une réduction de la TSH et des modifications de l’expression de différents régulateurs de la production des hormones thyroïdiennes, dans un modèle de rat âgé. M. Mezaguer a montré une bioaccumulation différente de l’iode 131 entre des rats normaux et des rats ayant subits une thyroïdectomie, avec des conséquences histologiques sur les reins et le foie. Ces trois études sont à mettre en lien avec l’étude de G. Phan, présenté dans la session « contre-mesures médicales », sur l’efficacité de la prophylaxie répétée à l’iode stable, en testant différentes doses d’iode stable et en testant différentes durées de traitement.

Deux autres études intéressantes sont à signaler. V. Malard a montré que des particules d’oxyde de cobalt sont internalisées par endocytose puis partiellement solubilisées en pH acide dans les lysosomes. Elle a également montré l’occurrence de dommages à l’ADN dus à la présence du cobalt, que ce soit sous forme particulaire ou sous forme solubilisée. S. Mokrani a, quant à lui, présenté une étude comparative de l’effet de la thymidine tritiée sur des progéniteurs neuronaux de souris et humains et dans des fibroblastes embryonnaires. Dans tous les cas, une instabilité chromosomique a été observée mais de façon plus importante dans les fibroblastes que dans les progéniteurs neuronaux, ce qui suggère que des mécanismes de réparation de l’ADN différents interviennent dans ces différents types cellulaires.

5 Les études sur la décorporation des radionucléides

Les contre-mesures médicales de l’incorporation de radionucléides restent un sujet important, même si lors de cette édition, peu de travaux ont été présentés. Une étude (O. Gremy) a montré l’intérêt d’utiliser du DTPA sous forme liposomale pour la décorporation du Pu dans un modèle de rat. Cette forme liposomale permet d’augmenter l’efficacité de décorporation du Pu en particulier dans le foie et la rate grâce à une meilleure capture par phagocytose. Une autre étude (M. Kaltz) a permis de modéliser la décorporation de l’Am 241 par le DTPA lorsque ce dernier est injecté rapidement après la contamination, à partir de données obtenues dans un modèle animal. Cependant, cette modélisation doit être encore améliorée pour mieux décrire la décorporation de l’Am 241 depuis le squelette et le foie. Ce travail pourrait être ensuite adapté au modèle humain de la CIPR. Deux études ont utilisé des modèles expérimentaux afin de mieux comprendre les interactions moléculaires entre l’uranium et l’hydroxyapatite constitutif du tissu osseux, d’une part, et des peptides mimétiques de protéines, d’autre part. Ces deux études devraient permettre de fournir des données pour le développement de nouveaux chélateurs de l’uranium dans le futur.

6 Les usages médicaux des radionucléides

Comme déjà indiqué, c’est la première fois qu’une session est dédiée à l’usage médical des radionucléides dans la série des conférences HEIR. La conférence de M. Bardies a présenté les défis posés en dosimétrie par les méthodes de radiothérapie vectorisée. De fait, il n’y a aucun protocole de dosimétrie de référence pour l’ensemble des protocoles de radiothérapie vectorisée mais ceci ne doit pas freiner l’utilisation des méthodes les plus adaptées selon les situations. Dans tous les cas, c’est la collecte des informations pertinentes qui reste le point clé d’une dosimétrie personnalisé, adaptée à chaque application thérapeutique de médecine nucléaire.

La dosimétrie reste un point clé dans l’évaluation des protocoles, comme illustré par les deux présentations qui ont suivi. A. Forbes a présenté une étude comparée de deux méthodes de modélisation de la dose pour l’utilisation de microsphères d’yttrium-90, et montre que le calcul systématique de la dose à l’organe est nécessaire afin d’ajuster le traitement. De fait, en cas de surdosage aux tissus sains ou de sous-dosage à la tumeur, les objectifs d’efficacité du traitement ne seront pas atteints. Une méta-analyse de D. Broggio a montré que la relation dose-réponse dans le cadre du traitement du syndrome de Graves (thyroïdite auto-immune) par l’iode 131 n’est pas établie précisément, et qu’il faudrait que la dosimétrie soit précisée par plusieurs mesures de l’absorption au cours du traitement, ou par des durées de suivi étendues.

7 Conclusion

Cette 12e édition de la conférence HEIR a montré toute la diversité des études réalisées sur les contaminations et expositions internes, avec une très grande qualité de toutes les études présentées. Les évolutions de ce domaine restent clairement dominées par la notion de dose, qui reste difficile à appréhender du fait de la complexité de la distribution des radionucléides et de leur élimination. Ce domaine reste foisonnant et riche. Cette richesse et cette qualité sont parfaitement illustrées par la qualité des présentations des trois jeunes récompensés par un prix « jeunes chercheurs » : M. Jacquemin pour le premier prix (multi-cellular dosimetry of β+-emitting radionuclides used for cell labeling), S. Medici pour le deuxième prix (in vivo screening measurements with common radiation protection instruments) et S. Mokrani pour le troisième prix (differential responses to tritiated thymidine in mouse embryonic neural stem cells and fibroblasts). L’ensemble des communications orales et affichées sera prochainement publiée dans la série « Bioweb of conference » (https://www.bio-conferences.org/).

Remerciements

Les auteurs et organisateurs de la conférence HEIR 2018 tiennent à remercier les partenaires et sponsors de ce congrès : la plateforme Européenne MELODI qui a en particulier apporté son soutien financier aux prix jeunes chercheurs, la société CEVIDRA, et les sociétés savantes suivantes : la société française de radioprotection (SFRP), la société française de physique médicale (SFPM), la société française de médecine nucléaire (SFMN) et la société française des radiopharmaciens (SOFRA). Les auteurs tiennent également à remercier les membres du comité scientifique pour leur travail d’évaluation et toutes les personnes qui ont été impliquées de près ou de loin dans l’organisation de la conférence HEIR 2018.

Citation de l’article : Bertho J-M, Ménétrier F, Dinocourt C, Le Hir S, Salhab C, Ecrabet F. 2018. La 12e conférence internationale sur les effets sanitaires de l’incorporation des radionucléides. Radioprotection 53(4): 299–302

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Répartition du nombre de communications soumises en fonction des pays d’origine des auteurs.

Distribution of the number of abstracts submitted according to the country of authors.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Répartition des communications reçues dans les différents thèmes, après évaluation du comité scientifique.

Distribution of abstracts received according to the topics, after the evaluation from the scientific committee.

Dans le texte

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