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Issue
Radioprotection
Volume 56, Number 2, April-June 2021
Page(s) 91 - 92
DOI https://doi.org/10.1051/radiopro/2021013
Published online 02 June 2021

Alain Biau, figure emblématique de la radioprotection de ces quarante dernières années, s’est éteint le 12 mai 2021 à l’âge de soixante-douze ans, dans une clinique de Marly-le-Roi.

Alain a été terrassé par une maladie qui le taraudait depuis six décennies et qu’il combattit avec un courage exceptionnel jusqu’à la fin. Des multiples témoignages et hommages reçus après son décès, quelques mots-clefs ressortent tels que « compétence professionnelle, humanisme, honnêteté intellectuelle et dignité ». Et effectivement, tous ceux qui le connurent ont pu apprécier non seulement ses nombreux talents dans son domaine d’expertise et sa disponibilité mais aussi sa haute exigence morale ainsi que sa gentillesse associée à un humour parfois décalé à « la Pierre Dac » ou à « la Pierre Desproges » dont il aimait citer les aphorismes. L’homme était en outre doté d’une vive intelligence.

Malheureusement, depuis un peu plus de deux ans, la dégradation de sa santé, caractérisée par la perte de sa motricité avaient rendu impossibles ses rencontres avec ses amis. Pour autant, le dialogue téléphonique fut préservé. Et, jusqu’à ses derniers jours, Alain avait gardé toute sa pertinence intellectuelle et un intérêt sans cesse actualisé pour son métier d’expert et d’historien de la radioprotection. De sa maladie, par pudeur, il parlait peu, non parce qu’il souhaitait la cacher, mais parce qu’il se refusait à ce qu’elle inspire une quelconque pitié. C’était un aspect indiscutablement très douloureux de sa vie, mais, il voulait qu’il demeure de second ordre, et influe le moins possible sur ses activités professionnelles ou associatives.

Lorsque, en 2008, lui furent remis les insignes de chevalier de l’Ordre National du Mérite, la question lui a été posée de savoir, s’il fallait évoquer publiquement cette affection qui le rongeait. Sa réponse étonnante fut la suivante : « Bien sûr, c’est peut-être « elle » qui m’a permis de réaliser des choses que je n’aurais pas réalisées autrement ». Pour lui qui connaissait la souffrance physique depuis son enfance, le sourire paradoxal des humoristes, était à l’évidence une des conditions nécessaires pour affronter les défis de la vie. Et avant tout, il se refusait à ce qu’on interprète son travail d’expert en radioprotection au travers du prisme du patient qu’il était par ailleurs.

Il ne souhaitait pas que son image soit entachée par la maladie qui chaque jour lui rappelait la dure réalité de sa condition. Et c’est la raison pour laquelle il a presque toujours refusé – et de toutes ses forces – le statut d’handicapé qui, parfois, aurait pu lui faciliter le quotidien.

Cette conception de l’existence qui place la dignité au centre du débat, n’aurait pas été désavouée par un philosophe stoïcien comme Épictète : « Ne demande pas que ce qui arrive, arrive comme tu le désires. Désire plutôt que les choses arrivent comme elles arrivent ».

Jusqu’à l’automne 2019, alors que « son » mal évoluait, accentuant sa difficulté à se mouvoir, il présida avec beaucoup de détermination et d’enthousiasme le club « Histoire » de la SFRP. Sa légitimité était indiscutable car il jouissait de la confiance de ses pairs et parce qu’il avait cette capacité rare de fédérer sur un enjeu commun de décryptage du passé de la radioprotection, des personnalités aux profils divers et aux parcours parfois antagonistes.

Durant sa carrière, il aborda en effet pratiquement tous les aspects de la radioprotection mais sa compétence professionnelle s’exerça particulièrement en radiophysique médicale, sa formation de base et surtout dans l’évaluation des expositions internes et externes aux rayonnements ionisants des travailleurs, notamment ceux de l’industrie nucléaire.

D’où venait-il au juste ?

Alain était né en janvier 1949 dans une famille modeste près de Villeneuve-sur-Lot. Son père était employé comme jardinier et sa mère, femme de ménage, dans le château d’un notable local, député-maire de la ville. Il vécut sa petite enfance dans les dépendances et aida souvent ses parents lors des réceptions et des campagnes électorales de l’édile radical-socialiste.

Pur produit de la méritocratie laïque et républicaine, Alain fréquenta l’école primaire de Villeneuve. C’est à son instituteur qui parvint à convaincre ses parents, qu’il dut son inscription en sixième au collège. C’est aussi de cette période, alors qu’il n’a que dix ans, que datent les premières alertes de sa maladie.

De son lycée, Alain se souvenait de son professeur de français-latin-grec de seconde, qui lui passait chaque semaine un grand classique, introuvable chez lui, en lui demandant une note de lecture.

Ainsi, à la rentrée 1965, avec un an d’avance, il intégra la classe terminale de Mathématiques Élémentaires du lycée de Villeneuve. Mais juste avant la rentrée scolaire, sa maladie se signala sous forme d’insupportables douleurs. Une spondylarthrite ankylosante fut diagnostiquée qui ne le lâchera plus. Cela ne l’empêcha pas de réussir son bac en 1966, de s’inscrire à la faculté des sciences de Toulouse, et d’y suivre un cursus universitaire normal en chimie-physique à l’issue duquel il obtiendra en 1970 une maîtrise de physique. Parallèlement, il était traité, à titre expérimental, par radiothérapie. En 1971, l’étudiant brillant est reçu au DEA de physique radiologique au centre de physique atomique de Toulouse dirigé par le Professeur Daniel Blanc (1927–2009), président de la SFRP en 1968. Alain faisait alors partie de la première promotion en France de physicien médical.

Il s’installa alors à Paris pour entamer une thèse en physique médicale à l’IGR de Villejuif, dédiée à la dosimétrie des petites sources de californium 252 en curiethérapie. Ce thème de recherche n’était sans doute pas étranger à son expérience de patient. Ses responsables de thèse, qu’il évoquait avec gratitude, étaient Andrée Dutreix, chef du service de physique médicale de l’IGR et Nicole Parmentier du département du docteur Jammet (1920–1996) au CEA de Fontenay-aux-Roses.

Dans le même temps, pour vivre, il fut l’assistant de biophysique du Professeur Pierre Pellerin (1923–2013) à la faculté de médecine Paris-Ouest. Son souvenir de Pierre Pellerin enseignant, était celui d’un brillant professeur, charmeur et attentif à ses étudiants. D’ailleurs, Alain a toujours refusé de s’associer à l’hallali général d’après Tchernobyl. En novembre 1973, après avoir soutenu sa thèse à Toulouse, il intégra le SCPRI au Vésinet comme ingénieur dans le département de Radiophysique du Professeur Moroni.

De 1973 à 1994, il dirigea alors le laboratoire de dosimétrie photographique individuelle, tout en assurant l’expertise des incidents/accidents de radiologie et la gestion de la dosimétrie des patients. Il fut en outre un des précurseurs de l’évaluation des expositions des populations aux rayonnements ionisants d’origine naturelle, y compris des rayons cosmiques en installant des dosimètres sur des vols commerciaux supersoniques. Progressivement, il devint le référent et le conseil de tous les médecins du travail assurant le suivi médical des travailleurs exposés. De cette époque, remontent de multiples exemples de son action, au nombre desquels figurent quelques cas ayant défrayé la chronique comme l’irradiation des ouvriers d’un accélérateur industriel à Forbach en 1991 où il a mis en évidence la gravité de l’exposition pourtant niée par le chef d’entreprise.

Le 26 avril 1986, lors de la catastrophe de Tchernobyl, Alain fut mobilisé jusqu’à la fin juin, avec toutes les équipes du SCPRI, pour procéder à des analyses d’échantillons prélevés dans l’environnement métropolitain, établir des cartographies des zones contaminées par le nuage radioactif et effectuer des calculs de dose. C’est donc avec amertume qu’il a vécu le lynchage médiatique qui a suivi.

En 1994, Alain est naturellement intégré à l’Office de Protection contre les Rayonnements où, dans la continuité des responsabilités qu’il exerçait auparavant, il est nommé sous-directeur de la radioprotection.

Son expérience a également été souvent sollicitée par l’administration pour faire évoluer la réglementation de radioprotection. Peu le savent, mais c’est lui, « l’inventeur » de la base de données SISERI qui collecte les doses reçues par les travailleurs exposés.

Enfin, Alain Biau se fit un devoir de consacrer une part importante de son temps à la formation et à l’enseignement, notamment des Personnes Compétentes en Radioprotection. Ainsi, la radioprotection fut le fil rouge de sa vie professionnelle. Mais, pas plus que sa maladie, elle ne bornait son univers. Il aimait le sport et le foot en particulier.

Jusque dans les années 1980–1990, en dépit d’une situation médicale qui se détériorait, Alain demeura parfaitement autonome, mais il devait manifester une force de caractère hors du commun, pour assumer la totalité de ses responsabilités. En 1996, la canne s’imposa. Se greffèrent alors d’autres ennuis de santé mais son énergie resta la même.

En 2002, à la création de l’IRSN, il fut d’abord reconduit comme chef de service de surveillance de l’exposition médicale et professionnelle. Cependant, après la réorganisation de l’Institut en 2003, il a été nommé Directeur d’Evaluation et d’Animation Scientifique, dans une fonction d’animation et de réflexion moins éprouvante physiquement, qui lui permit de valoriser sa longue expérience opérationnelle. Ses ennuis de santé le rattrapèrent malgré tout en 2005. Après plusieurs mois d’hospitalisation, de rééducation et de convalescence, il reprit son travail avec la même motivation juvénile que celle du gamin de Villeneuve entrant au collège. Toujours avec cette même soif de comprendre et de transmettre. À la même époque, il est d’ailleurs élu au CA de SFRP.

Là où beaucoup abdiqueraient, lui, paradoxalement, diversifia et intensifia ses engagements, trouvant même les ressources pour s’impliquer dans la vie associative visant à faciliter l’insertion au travail des personnes handicapées.

Alain Biau n’est plus. Mais ses enseignements et son exemple demeurent, en particulier celui du courage face à l’adversité et aussi cette aptitude à toujours s’émerveiller des avancées scientifiques mais aussi de la poésie et de la chanson. Dernièrement, alors que son état était très préoccupant, il trouvait la force de plaisanter, de s’enquérir de la santé des autres, et de réjouir de la survenue du printemps dans son petit jardin d’Andresy.

La Radioprotection perd un grand professionnel mais surtout un ami fidèle et un humaniste dans tous les sens du terme.


© SFRP, 2021

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